La Bohème en version de concert à l’Opéra de Toulon Puccini tel qu’en lui-même !
La situation sanitaire actuelle contraint l’Opéra de Toulon à adapter ses spectacles. En conséquence, les représentations de La Bohème seront proposées en version de concert. La distribution reste inchangée avec dans le rôle de Mimì Adriana Gonzalez. La direction musicale sera assurée par Valerio Galli, chef principal de l’Opéra de Toulon. Représentations les 30 janvier, 1er et 4 février. Invité découverte le jeune ténor italien Davide Giusti. Conférence de présentation par Operavenir le jeudi 20 janvier à 15h salle de la Méditerranée, entrée libre.
L’émotion lyrique.
La Bohème de Puccini, est l’histoire d’un amour impossible entre Rodolfo, le poète idéaliste, et Mimi, la jeune fleuriste. L’action se situe à Paris, dans le milieu de la « bohème » littéraire du XIXème siècle. Adapté de la pièce La Vie de Bohême d’Henri Murger, l’opéra est une merveilleuse suite de tableaux dépeignant la joie de vivre contagieuse de la jeunesse, et le gâchis tragique que représentent la maladie et la séparation dues à la pauvreté.
Dans La Bohème, Puccini fait œuvre de « réalisme poétique », en opposition au mouvement vériste auquel on l’attache à tort. Dans ce mélange de romantisme et de réalisme, il décrit la vie insouciante, malgré les difficultés matérielles, de compagnons artistes et de leurs petites amies. On y voit l’opposition d’un couple « tragique », Rodolfo-Mimi, et d’un couple « fantaisiste », Marcello-Musette. D’une exubérance pleine de jeunesse, les Scènes de la vie de bohème de Mürger rappelaient à Puccini un mode d’existence qu’il avait lui-même connu, lors de ses années de Conservatoire à Milan.
Du théâtre musical.
Rien n’interdit, même dans une version de concert, de rêver les décors, les costumes et notre propre mise en scène. Soyons créatifs, imaginons grâce à la musique !
Acte I
Le soir de Noël, à Paris, quatre amis partagent une mansarde glaciale : Rodolfo le poète, Marcello le peintre, Schaunard le musicien et Colline le philosophe. Après avoir saoulé le propriétaire venu collecter le loyer, tous partent réveillonner dehors sauf Rodolfo. Il reçoit la visite de la voisine Mimì, une petite fleuriste qui n’a plus d’allumettes pour sa bougie. Sa chandelle rallumée, elle se rend compte qu’elle n’a plus sa clé. Les deux bougies s’éteignent, ils se retrouvent tous deux dans le noir. Dans l’obscurité, leurs mains se frôlent ils tombent amoureux.
Acte II
Mimì et Rodolfo retrouvent les autres au Café Momus. Musetta l’ancienne maîtresse de Marcello arrive accompagnée de son nouvel amant, Alcindoro, un riche et vieux conseiller d’état. Elle cherche à reconquérir Marcello et y parvient en le rendant jaloux. Les protagonistes n’ont pas assez d’argent pour payer l’addition, Musetta la fait alors mettre sur le compte d’Alcindoro qu’elle a fait partir sous un prétexte. Ils quittent tous le café en acclamant Musetta.
Acte III
Quelques mois plus tard, Mimì retrouve Marcello dans une taverne et lui raconte que Rodolfo l’a quittée. Rodolfo vient rejoindre son ami, Mimì se cache alors pour écouter la conversation. Il dit avoir quitté Mimì à cause de sa coquetterie, puis finit par avouer qu’il la soupçonne d’être gravement malade. N’ayant pas les moyens de la soigner, il espère qu’elle trouvera un homme riche qui pourra s’occuper d’elle. En toussant, Mimì révèle sa présence. Les amants décident d’attendre le printemps pour se séparer. Pendant ce temps, Marcello et Musetta se disputent. Cette double scène de rupture est un pur joyau musical et théâtral. Ci lacerem alla stagion dei fiori…
Acte IV
Dans leur mansarde Marcello et Rodolfo repensent à leurs amours perdues. Colline et Schaunard les rejoignent avec un dîner frugal. Musetta entre avec Mimì qui a quitté son riche protecteur. Elle est très affaiblie. Tous partent vendre leurs dernières affaires pour lui payer un remède, la laissant seule avec Rodolfo. Les amants se rappellent leur bonheur passé.
Les amis reviennent avec un manchon et des médicaments, un médecin a été appelé mais Mimì est déjà évanouie et meurt avant son arrivée. Rodolfo s’effondre en pleurs.
Le sens de l’œuvre
Cet Opéra en quatre tableaux de Giacomo Puccini (1858-1924) est composé sur un livret de Giuseppe Giacosa (1847-1906) et Luigi Illica (1857-1919) d’après le roman d’Henri Murger (1822-1861). On peut ici tenter d’en souligner les plus évidentes caractéristiques.
Tout d’abord, l’ouvrage évoque la ville de Paris dans les années 1830. C’est la première fois que Paris est représentée à l’opéra de manière moderne : le quartier latin, Montmartre, la mansarde du peintre, le café Momus.
Ensuite, les auteurs du livret ont choisi une jeunesse émancipée et pleine de fougue pour incarner la désinvolture et la frivolité qui caractérisent l’attitude des étudiants pauvres, leurs espoirs et leur croyance en l’immortalité de l’amour et de l’amitié, leurs déconvenues aussi. La jeunesse apparaît comme une représentation métaphorique de cette Bohème artistique.
Loin des conventions bourgeoises, du mariage d’intérêt, l’amour passion, l’amour flamboyant et l’amourette évoquent les mœurs de toute une époque, en mettant l’accent sur la recherche de liberté et l’affranchissement vis-à-vis des normes de la société bourgeoise.
Par ailleurs, la Vie de bohème est un thème cher à Puccini. Lui-même eut une jeunesse désargentée et déclina même un poste de professeur au Conservatoire de Milan, renonçant ainsi à une certaine sécurité matérielle pour rester un créateur. Ce thème entre aussi dans les préoccupations des deux librettistes qui s’inscrivent dans le mouvement italien de la Scapigliatura. (Les échevelés). La vie de Bohème symbolise donc une véritable philosophie de la vie et marque de son empreinte toute une génération d’artistes. Ce thème ouvre un espace dans lequel peuvent s’exprimer des problématiques contemporaines concernant le rapport de l’artiste avec la société.
L’analyse du couple Mimi-Rodolfo montre une réelle évolution des personnages au cours de cet opéra. Rodolfo cherche à conquérir Mimi qui se donne à lui en toute sincérité. Mais, aveuglé par une jalousie maladive, il n’arrive pas fonder un foyer avec Mimi. Elle doute de cet amour d’autant plus qu’elle se sent malade. Une séparation en hiver pour ces pauvres jeunes n’est pas envisageable, mais ce sursis est aussi un moyen d’espérer se retrouver. La musique de Puccini nous invite donc à réfléchir sur le sens de l’amour dans un contexte de précarité et de vulnérabilité.
Musette et Marcello sont liés l’un à l’autre par un amour plus frivole. L’amour charnel ou l’amour vénal est suggéré par la musique et l’orchestration. (clarinette basse). Musette change d’homme au fil des rencontres sans trop se soucier de l’état dans lequel elle laisse le précédent. Mais, au plus profond de lui, Marcello est réellement amoureux. Les motifs musicaux qui lui sont attribués par Puccini le montrent clairement. Le fait que Mimi soit mourante va inverser l’attitude de Musette qui finalement se reconnaîtra en l’amour de Marcello. Par ces deux situations de relation de couples, Puccini dépeint musicalement la complexité des sentiments dans la société de la fin du XIXe au début du XXe et s’affirme autant comme homme de théâtre que comme grand compositeur.
Enfin, la vie de Bohème, chère aux artistes, n’est-elle pas le milieu idéal, favorisant l’acte de création ? Une séparation entraîne des émotions extrêmes. Elle peut déclencher le désespoir, comme l’insouciance, anéantir ou stimuler.
Il y a dans cet opéra deux séparations bien différentes. Ce sont les difficultés de la vie, ici la tuberculose de Mimi, qui finalement vont rapprocher les protagonistes. La musique de Puccini dépeint parfaitement ces émotions convergentes par des motifs de réminiscences musicales rappelant l’auditeur à des valeurs émotives déjà perçues.
La maladie est l’élément décisif qui va déclencher le repositionnement réel de chacun. Rodolfo est de plus en plus attaché à Mimi et, confronté à son agonie, on le voit crier son nom sur son lit de mort, un cri d’amour bien réel, suivi d’une séparation physique inéluctable.
Et Musette ? En fait Musette s’est rapprochée de Mimi. C’est elle qui annonce à Rodolfo qu’elle est malade. Musette va encore changer au cours du quatrième acte, même si la frivolité et l’insouciance sont liées à l’image que l’on a d’elle. On découvre-et c’est là une des beautés secrètes de l’œuvre – une Musette qui a muri dans la douleur et qui sans doute découvre la vérité de l’amour.
La version toulonnaise
Direction musicale Valerio Galli, Mimì Adriana González, Musetta Mariam Battistelli, Rodolfo Davide Giusti, sans doute la plus belle voix du plateau toulonnais, vainqueur heureux du 2° prix Operalia 2017 Placido Domingo (vidéo), Marcello Devid Cecconi, Schaunard Jean-Luc Ballestra, Colline Nika Guliashvili, Benoît/Alcindoro François Harismendy. Orchestre et Chœur de l’Opéra de Toulon
La musique de la Bohème emporte tout sur son passage et émeut jusqu’aux larmes dans un ouvrage où tout n’est que vie et effusion de sentiments. N’importe quel spectateur aussi novice soit-il, enfant, adolescent ou adulte, sera touché par cette œuvre (même sans mise en scène). Elle lui fera découvrir la force émotionnelle de l’opéra. Il y est question du bonheur, de l’espérance du bonheur, de sa poursuite. Cette fragilité du bonheur qui prend une dimension si particulière en cette période troublée.
Jean François Principiano