Une dame atout pique !
La Dame de Pique de Tchaîkowsky à l’opéra de Toulon.
Œuvre troublante et romantique d’après une courte nouvelle de Pouchkine, cet opéra russe a été donné dans la mise en scène d’Olivier Py réalisée par Daniel Izzo. Des choix originaux mais cohérents pour expliciter ce drame existentiel, porté par une orchestration rutilante et une belle distribution vocale. Dérouté au début, le public a été finalement conquis par la puissance de l’œuvre et l’efficacité de la mise en scène.
Universalité
Dans un décor unique à multiples facettes et des éclairages superbes en clair-obscur de Bertrand Killy, cette présentation très envoutante a servi les intentions du compositeur avec en prime quelques fantasmes érotiques soulignés par des costumes intemporels de Pierre-André Weitz. L’œuvre trouve ainsi une universalité évidente.
Les deux orchestres de l’Opéra de Toulon et du Grand Avignon (il s’agit d’une coproduction région Sud PACA, opéra de Toulon, Opéra de Nice, Opéra Grand Avignon et Opéra de Marseille) ont donné le meilleur sous la direction attentive et engagée de Jurjen Hempel. Dans le deuxième acte je pense que les choix des tempi un peu lents sont dus aux contraintes des mouvements des masses et que les quelques décalages pourront être réglés lors des prochaines représentations.
Un plateau vocal assez homogène
Vocalement on soulignera avec plaisir la prestation du ténor Aaron Cawley qui a incarné un Hermann tourmenté et tragique dans son obsessionnelle folie du jeu. Sa voix large et puissante a étonné par sa musicalité et il a su s’impliquer avec dramatisme dans la scène finale d’un vérisme bouleversant. Karine Babajanyan fine et fragile, a bien incarné le rôle de Lisa avec une implication scénique évidente malgré quelques aigus approximatifs et un timbre un peu plat.
La grande Marie Ange Todorovitch était la comtesse détentrice du secret des trois cartes. Elle s’est pliée avec bonheur aux exigences du rôle et surtout aux intentions sensuelles accentuées par le metteur en scène, notamment lors de sa berceuse empruntée à un opéra de Grétry et chantée en français.
Dans le rôle du Prince, à qui Tchaîkowsky a réservé un magnifique arioso, on a apprécié le timbre généreux, la ligne de chant de Serban Vasile, sa grande musicalité et la qualité de sa présence émotionnelle faite de retenue et de noblesse. Il était vocalement le meilleur de la distribution toulonnaise.
On a pu remarquer le beau contralto de Fleur Barron dans la méditation de Pauline et la Pastorale défendue avec talent et légèreté également par Anne Calloni. Tandis que l’Hymne à la tsarine Catherine a donné lieu à une mascarade ironique et cynique déjouant tout nationalisme de circonstance.
Un succès partagé
La distribution complémentaire n’a pas démérité (Nona Javakhidze, Alik Abdukayumov, Artavazd Sargsyan, Christophe Poncet de Solages, Guy Bonfiglio) ainsi que les chœurs de l’opéra de Toulon et du Grand Avignon bien préparés.
Soulignons la justesse des interventions chorégraphiques réglées par Daniel Izzo avec Jackson Carroll, Fabio Prieto Bonilla et Gleb Lyamenkov qui auraient sans doute assouvi l’admiration esthétique de Tchaïkovski pour les beaux corps masculins.
En ce sens la mise en scène d’Olivier Py offrait de riches métaphores dramatiques avec des intentions théâtrales bien en situation, soulignant l’ambiguïté des personnages, creusant le labyrinthe des passions les plus secrètes, les tourments les plus noirs, les désirs érotiques les plus enfouis dans l’inconscient de chacun et de Tchaîkowsky en particulier. Par exemple lors du dernier air d’Hermann, la salle s’éclaira laissant place à un troublant face à face entre le héros nihiliste et le public.
« Qu’est-ce que notre vie ? un jeu ! Le bien, le Mal, des illusions !
Le travail, l’honnêteté…des contes de bonnes femmes !
Qui a raison ? qui est heureux ici, mes amis ?
Toi aujourd’hui et moi demain. Cessons de lutter. »
Une soirée mettant à nu l’âme russe, dans toute sa complexité !
Prochaines représentations les vendredi 6 mai à 20h et dimanche 8 mai à 14h30
Jean François Principiano