Salomé de Richard Strauss
Le mystère de l’amour est plus grand que le mystère de la mort
Oscar Wide la voix du prophète
Avant d’être un opéra, Salomé à l’origine est une tragédie d’Oscar Wilde dont la version originale de 1891 est écrite en français. Une traduction en anglais a suivi trois ans plus tard.
La pièce, en un acte, repose sur l’épisode biblique de Salomé, belle-fille du tétrarque de Galilée Hérode Antipas, qui, à la consternation de son beau-père, mais au grand plaisir de sa mère Hérodiade, demande qu’on lui apporte la tête de Iokanaan (Jean le Baptiste) sur un plateau d’argent comme récompense pour avoir exécuté la danse des sept voiles.
Wilde écrivit cette pièce à Paris, où il s’était retiré pour fuir la persécution homophobe dont il était l’objet. Il la dédia à Pierre Louÿs, qui apporta quelques corrections au texte mais n’intervint que très peu. Séduite par le rôle-titre, Sarah Bernhardt décida de l’interpréter elle-même, et les répétitions commencèrent au Palace Théâtre de Londres. Ces répétitions durent toutefois s’interrompre lorsque la censure de Lord Chamberlain eut interdit Salomé au motif qu’il était illégal de représenter sur scène des personnages bibliques. Indigné, Wilde envisagea de renoncer à sa nationalité britannique et de devenir français afin de ne plus avoir à subir de telles brimades.
Le texte de la pièce fut édité pour la première fois en 1892 à la suite d’un article intitulé « The Censure and Salomé », dans la Pall Mall Gazette du 29 juin 1892. Interrogé sur la raison pour laquelle il avait écrit Salomé en français, Wilde déclara : « j’ai choisi la langue de la Tolérance et de la Liberté. »
C’est à cette époque que s’ouvrit le procès au cours duquel s’opposèrent Wilde et le marquis de Queensberry, père du jeune Alfred Douglas, et à l’issue duquel, le 25 mai 1895, Wilde se vit condamné à deux ans de travaux forcés et emprisonné le soir même, pour délit d’homosexualité.
La première de Salomé à Paris eut lieu en 1896 et fut créée par la compagnie du Théâtre de l’Œuvre à la Comédie Parisienne (aujourd’hui Théâtre de l’Athénée Louis-Jouvet). Des lithographies de Toulouse-Lautrec en illustraient le programme. Wilde était alors incarcéré à la prison de Reading.
La Salomé de Strauss un parfum de scandale.
En 1907, dés le lendemain de la création américaine au Metropolitan Opéra, Salomé sera interdit pendant dix-sept ans, le jeu de la cantatrice Olive Fremstad dans le rôle-titre, étant considéré comme trop choquant pour le public américain.
Le Livret de Hedwig Lachmann suit pratiquement mot à mot la pièce d’Oscar Wilde, elle-même inspirée d’Hérodias de Flaubert (Trois contes).
L’action en un seul acte sans entr’acte se situe au début de l’ère chrétienne.
Par une nuit chaude de pleine lune d’été, sur une terrasse du palais d’Hérode Antipas gouverneur de Judée, Salomé, sa belle-fille, est observée avec passion par Narraboth, capitaine de la garde. Jochanaan (Jean-Baptiste), prophète est emprisonné pour avoir insulté Hérode et sa femme. Il proclame l’arrivée de Jésus, mais son appel rencontre l’incompréhension des gardes. Salomé entend le prophète. Elle parvient à convaincre les gardes de faire sortir Jochanaan afin de le voir de plus prés. A la fois fascinée et apeurée par ses prophéties, Salomé se prend de passion pour cet homme. Narraboth ne peut supporter la scène et se tue à l’aide d’un poignard.
Jochanaan est reconduit dans sa prison. Hérode, Hérodiade et la Cour sortent sur la terrasse. Ils y trouvent Salomé et le cadavre de Narraboth. Hérode tente de distraire Salomé tandis que la voix du prophète retentit, s’en prenant à Hérodiade. Une controverse s’ensuit entre celle-ci et Hérode tandis que Jonachaan annonce la venue du Messie.
Hérode supplie Salomé de danser pour lui, promettant monts et merveilles. Celle-ci finit par accepter, au grand dam de sa mère. Hérode est subjugué, mais Salomé exige comme prix la tête de Jochanaan. Après avoir refusé, puis tenté de réduire son exigence, Hérode finit par céder et le bourreau descend dans la citerne. Il ressort, brandissant la tête du prophète dont Salomé s’empare. Elle lui parle et finit par baiser les lèvres tant désirées. Hérode, horrifié, donne l’ordre de tuer Salomé.
Musique postromantique
Richard Strauss (1864-1949) à 39 ans en 1905. Il est déjà au sommet de sa gloire comme compositeur de poèmes symphoniques. Il est interprété dans toute l’Allemagne et symbolise, après Wagner le renouveau du pangermanisme culturel. Grand orchestrateur il utilise une palette sonore d’une rutilante richesse. Cordes dédoublées, bois et cuivres abondants, arsenal percussif complexe. Son harmonie reste classique mais il a subit l’influence de Richard Wagner et son génie le pousse parfois à aller plus loin dans le chromatisme, frôlant l’atonalité. Pourtant sa fibre reste essentiellement romantique et lyrique. Comme Puccini son contemporain, il écrit pour la voix féminine (il avait épousé une cantatrice). Ainsi dans Salomé plusieurs moments sont d’un grand lyrisme, notamment le monologue de Jochanaan annonçant l’arrivée du Christ ou encore le long final de Salomé, extraordinaire scène d’amour érotique autour de la tête du prophète décapité, jusqu’au baiser final.
Il faut souligner la puissance rythmique de l’œuvre avec la sublime danse des sept voiles. Cette musique si fameuse avec son leitmotiv lancinant de trois notes obsessionnelles étonnera toujours l’auditeur. Le contenu visuel de cette scène (sept minutes environ avec les tempi standards) varie considérablement selon les notions esthétiques des metteurs en scène, du chorégraphe, et de la présence physique de l’interprète. Au début du XXe siècle, Ida Rubinstein se fit une spécialité de la danse des sept voiles, qu’elle terminait nue…
Le sens de l’œuvre.
Salomé, en Hébreu Shlomite שלומית; est un personnage historique, une princesse juive du 1ersiècle mentionnée chez l’historiographe judéo-romain Flavius Josèphe. Dans le Nouveau Testament, elle est la protagoniste d’un épisode des évangiles selon Matthieu et selon Marc. Un soir à la cour du Tétrarque (gouvernement de la Judée au nom des romains) elle danse devant Hérode Antipas qui est son beau-père. Charmé, celui-ci lui accorde ce qu’elle veut. Sur le conseil de sa mère, elle réclame alors la tête de Jean-Baptiste, celui qui avait annoncé la venue du Christ et qui avait critiqué les turpitudes de la cour d’Hérode.
À cette époque, Hérode, le gouverneur de la Galilée, entendit parler de Jésus.
– Cet homme, dit-il à ses courtisans, c’est sûrement celui annoncé par Jean-Baptiste. Hérode avait donc ordonné d’arrêter Jean, il l’avait fait enchaîner et jeter en prison, à cause d’Hérodiade, la femme de Philippe, son demi-frère, parce qu’il lui disait : Tu n’as pas le droit de la prendre pour femme.
Hérode cherchait donc à le faire mourir. Mais il craignait la foule, car elle considérait Jean-Baptiste comme un prophète. Or, le jour de l’anniversaire d’Hérode, la fille d’Hérodiade exécuta une danse devant les invités. Hérode était sous son charme : aussi lui promit-il, avec serment, de lui donner tout ce qu’elle demanderait.
À l’instigation de sa mère, elle lui dit : Donne-moi ici, sur un plat, la tête de Jean-Baptiste.Cette demande attrista le roi. Mais à cause de son serment et de ses invités, il donna l’ordre de la lui accorder. Il envoya un soldat décapiter Jean-Baptiste dans la prison. La tête de ce dernier fut apportée sur un plat et remise à la jeune fille qui la porta à sa mère. Les disciples de Jean-Baptiste vinrent prendre son corps pour l’enterrer, puis ils allèrent informer Jésus de ce qui s’était passé. Évangile de Mattieu 14-1-12
Dans l’opéra comme dans la pièce de Wilde suivant la tradition chrétienne, Salomé est une gamine perverse, belle et cruelle. Elle tente de séduire Hérode (qui est peut être son père) et Jean Baptiste qui la repousse plusieurs fois lorsqu’elle vient le voir « comme une bête curieuse » dans sa prison.
Richard Strauss force le trait érotique. L’œuvre baigne dans une atmosphère terrifiante de pleine lune sur la terrasse du palais en plein été…Tous les protagonistes sont fébriles dans un climat de sourde conspiration où les sens sont exacerbés par la violence, la cruauté, la passion et la débauche.
Dans cette nuit de braise seul Hérode reste lucide et par maints côtés essaye de ramener sa femme et sa belle-fille à la raison. Hérodiade a été émue par la beauté de Jean mais elle est vexée d’avoir été repoussée par le prophète qui lui reproche une vie dissolue. La jeune Salomé également a perdu la raison pour cet illuminé dont les paroles incohérentes et poétiques l’ont troublée. Toutes deux veulent détruire celui qu’elles désirent confusément.
Métaphoriquement le personnage de Salomé est le plus complexe de la partition car elle se livre dans le grand monologue final. Elle est toute jeune et elle découvre en un soir la puissance de l’amour qui va jusqu’à la mort de celui qui lui échappe. Mais aussi, elle pressent qu’elle joue sa vie dans cette expérience unique car, connaissant le tétrarque elle sait qu’il l’a fera exécuter par ses gardes à la fois par horreur et dépit de jalousie.
C’est dans un long élan lyrique qu’elle prononce à mi-voix cet aveu, la clef de l’œuvre : le Mystère de l’amour est plus grand que le mystère de la mort. Ensuite elle plonge littéralement en extase devant la tête sanglante de Jean sur une phrase musicale culminant dans un impressionnant si bémol aigu. Puis sa voix retourne vers le registre grave sur le mot die tod (la mort).
Salomé se rappelle alors la beauté du prophète. Dans un mouvement extrêmement lyrique introduit par le leitmotiv du désir, elle évoque à nouveau le blanc de son corps, le noir de ses cheveux et le rouge de sa bouche. Il est difficile d’échapper à l’envoutement émotionnel de cette scène d’hystérie et d’érotisme morbide.
Notons la fin brutale de l’opéra lorsque les gardes, sur l’ordre d’Hérode, écrasent la jeune fille sous leurs boucliers. Soubresauts saisissants d’une horreur paroxysmique.