Ces gens là ! Un mépris qui vient de loin
Les mots et les expressions françaises ont un sens et une histoire. On peut, sans esprit de polémique, s’interroger sur le sens de l’expression ces gens-là qui vient de refaire surface dernièrement. Il est certainement dommage pour elle que Madame la néo ministre Cayeux n’ait pas un peu interrogé ses collaborateurs avant de l’employer car l’expression est beaucoup plus chargée d’arrière-pensées qu’il n’y paraît.
On a le droit de penser tout ce que l’on veut des homosexuels et de l’évolution de leur place dans notre société, mais les désigner par « ces gens-là » est la forme suprême du mépris.
Au cours de l’histoire de la société française l’expression a été utilisée dans trois contextes très précis. Au cours du XIX siècle c’est par cette expression que l’on désignait médicalement les fous dans les rapports de préfecture. Par exemple Charcot parlait encore dans son traité sur les pathologies des hystériques, de ces gens-là.
À la même période dans des pièces de théâtre de boulevard de Feydeau, Labiche, Sacha Guitry, Courteline on trouve des répliques humoristiques et malveillantes lorsque les riches bourgeois évoquent les domestiques, les gens de maison, ces gens-là complétement incapables de bien servir leur maîtres. Ils n’ont pas de nom, ils sont essentialisés en un groupe informel, méprisable et sans âme. Ce sont « ces gens-là », désignés d’avance au sarcasme ou au ricanement à cause de leur incapacité.
Au débuts du XX° siècle l’expression est largement utilisée par le journal catholique, royaliste, antisémite et homophobe l’Action Française. Dans une rubrique intitulée « Ces gens-là ! » ou se déversaient le mépris et la haine envers les métèques, les juifs, les francs-maçons, les communistes, les républicains, les pédérastes et les apatrides tout ces gens-là qui envahissent et pourrissent la France…
Écoutons Charles Maurras en 1925 « Ces gens-là obéissent à la consigne ethnique donnée par leur congénère Alfred Dreyfus le jour de sa dégradation : Ma race se vengera sur la vôtre ! une race juive de corrompus, ces gens-là viennent des bas-fonds de toutes les loges, ces gens-là pervertissent notre jeunesse par leur goût d’invertis dégénérés… à ces gens-là je dis sans haine comme sans crainte que je donnerai l’ordre de verser leur sang de chien s’il arrive qu’ils abusent en plus de la force pour ouvrir les écluses de sang français. …. »
Enfin rappelons que l’expression ces gens-là était communément utilisée aux beaux jours du colonialisme français pour désigner les autres, ceux que le système exploitait, les indigènes malgaches, indiens, polynésiens, tonkinois, canaques vietnamiens, annamites, cambodgiens, malais, arabes, levantins, maghrébins, africains…gens sans nom et sans visage, posés là, face à la grandeur du colonisateur apportant la civilisation à tous ces gens-là.
Ajoutons que chez les anciens romains, tout au contraire faire partie d’une gens c’est appartenir à un groupe reconnu et respecté. Une des plus belles lois du droit Romain s’appelle jus gentium qui désigne soit les droits accordés aux membres des peuples étrangers pris individuellement, y compris ennemis, devenus citoyens romains, soit le droit des nations étrangères prises collectivement.
Les mots et les expressions sont bien le reflet des mentalités et des préjugés des époques, et leur réutilisation est symptomatique d’une pensée archétypique inconsciente. En utilisant cette expression, ces gens-là, notre ministre les désigne comme étant hors de la normalité et par là les expose aux sarcasmes et aux préjugés. Ce ne sont pas des gens normaux, ce ne sont que ces gens-là.
Alors disons simplement à tout ces gens qui manifestent leur haine, à tout ces gens qui se présentent comme des donneurs de leçons de morale, à tous ces gens qu’animent des peurs, a tous ces gens qui désignent ainsi les homosexuels, que ce sont eux qui mettent en danger la cohésion sociale. Ces gens sont vraiment dangereux, là, ici et maintenant.