Cosi fan tutte à l’Opéra de Toulon
Mozart Baba cool!
Devant une salle comble frémissante d’impatience, le chef d’œuvre de Mozart a tenu toutes ses promesses vendredi soir dans la mise en scène éclatante de jeunesse et de fraîcheur de Christophe Gayral . Une direction musicale structurante du jeune chef belge Karel Deseure qui a déjoué les difficultés de cette partition raffinée, les qualités d’un plateau vocal et choral très engagé et bien soutenu par un orchestre de l’Opéra de Toulon au mieux de sa forme et la cheffe de chant et pianoforte Kira Parfeevets. Trois heures de bonheur dans un écrin de style hippie revisitant le livret de Da Ponte sans le dénaturer.
De la couleur avant toute chose
Cette production qui vient de Saint Etienne fait la part belle aux lumières de Marie Christine Soma réalisées par Romain Portolan et à la jeunesse. Les décors simples mais fonctionnels de Mathieu Lorry-Dupuy soulignent l’engagement et le rayonnement scénique des cinq principaux protagonistes. L’ambiance est celle des années 70 gentiment peace and love, pétards aux lèvres… Le public est plongé dans une succession d’effets de voiles colorés et un tourbillon de déplacements qui conférent à la soirée une fluidité bien en cohérence avec le thème de cet opéra (apparemment) léger. La scène du mariage a été particulièrement suggestive de sensualité.
Deux jeunes hommes, Ferrando et Guglielmo, parient avec leur ami Don Alfonso que leurs fiancées sont incapables de leur être infidèles. Ils se déguisent alors tous deux afin d’essayer de séduire l’amante de l’autre, et éprouver si, comme le pense Don Alfonso, « elles font toutes ainsi » (cosi fan tutte, en italien) ! Sur cette trame empruntée à l’Orlando Furioso de l’Arioste, le librettiste Da Ponte permet à Mozart d’écrire un chef d’œuvre mélancolique, lucide et légèrement misogyne.
Une direction d’orchestre élégante et précise
La battue de Karel Deseure est sans doute une des causes de la réussite musicale de la représentation. Le jeune chef évite un des pièges de la partition, la succession un peu statique des morceaux dans ce style encore proche du marivaudage musical. Au contraire, s’appuyant sur la fraîcheur des voix féminines et l’autorité de celles des hommes, il a rendu justice aux effets déjà pré romantiques que le compositeur glisse entre deux récitatifs. Par exemple dans le trio Soave sia il vento bercé doucement jusqu’à la fausse cadence sur le mot desio telle une interrogation inquiète et fugace ou bien dans le duo Ah guarda sorella ou encore dans le début du splendide sextuor Alla bella Despinetta. Autant de moments fort bien réussis sur le plan musical, sans jamais couvrir les voix, mettant en valeur les solistes des différents pupitres notamment la clarinette quasi omni présente dans la partition.
Un plateau vocal homogène
Barbara Kits, drapée dans sa fidélité, est apparue impérieuse dans son difficile air Come Scoglio (sans doute le morceau le plus impegnativo de toute la partition). Par son timbre clair et puissant sa musicalité et sa technique très sure elle a incarné vocalement et scéniquement une Fiordiligi proche de la perfection. La Dorabella de Marion Lebégue a séduit par son legato, l’ampleur de son médium et surtout la qualité de sa diction italienne.
Les nombreux duos et ensembles qui parsèment l’œuvre de trouvailles harmoniques ont été exprimés avec délicatesse et musicalité, notamment Prendero quel brunettino. Notons la belle performance scénique de Pauline Courtin incarnant Despina, la charmante et coquine soubrette dans son air Una donna a quindici anni lorsqu’elle essaye de convaincre ses maîtresses de se laisser aller aux joies de la liberté sentimentale…
Vérité et vaillance
Les hommes n’ont pas démérité non plus. Ainsi l’Alfonso de David Bizic, devenu un des habitués de la scène lyrique varoise, qui a porté le rôle du copain libertin (tout est relatif) avec fermeté, élégance et ampleur vocale. Splendide son Tutti accusano le donne qui a permis d’apprécier sa voix de baryton-basse chaude et généreuse. L’Air du ténor Tradito Schernito est particulièrement tendu. Dave Monaco dont le splendide legato est un modèle mozartien de musicalité a su conférer à sa douleur mêlée de regrets amoureux une vérité authentique. Vincenzo Nizzardo a campé un Guglielmo vainqueur avec vaillance, prestance vocale et une musicalité émouvante. Peut-être est-il le seul conscient de la cruauté de ce jeu lorsqu’il chante Donne mie la fatto a tanti…ou tout simplement porte-t-il le ressenti intime de Mozart ?
Cosi fan tutti !
Le final de l’œuvre montre les protagonistes masculins se précipiter sur un poste de télévision, pantoufles aux pieds, ce qui peut laisser perplexe par rapport à ce que dit la musique à ce moment-là. Pourtant cela correspond parfaitement à cette comédie de mœurs grinçante, la Scuola degli amanti, l’école des amoureux.
En effet, les deux femmes infidèles sont confondues, Alfonso le maître du jeu a gagné son pari, Despina rejoint ses maîtresses et leur tend les pantoufles, symbole de servitudes domestiques futures, les deux hommes leurs pardonnent de s’être laissées séduire… Mais comme punition chacun retrouve sa chacune initiale… En montrant les deux garçons se détacher du groupe féminin pour suivre une rencontre sportive télévisée, ships en main, Christophe Gayral souligne peut-être la monotonie à venir de leur vie conjugale à tous les quatre ! …
Le temps d’une soirée, le bonheur les a frôlé … Ainsi en est-il des enthousiasmes de la jeunesse ! On commence dans l’idéal libertaire et on finit la télécommande à la main. On passe à côté de l’être de sa vie sans le savoir ! C’est vrai pour tout le monde Cosi fan tutti quanti !
Jean François Principiano