L’aura harmonique de la Divine Comédie
Un essai passionnant de Myriam Benharroch
Un essai en trois parties consacré à l’influence de différents éléments des civilisations orientales dans le chef d’œuvre de Dante. Myriam Benharroch s’intéresse principalement à la danse et à la langue hébraïque. Concernant ce second thème, elle examine comment Dante s’est inspiré de l’hébreu pour penser son modèle de langue parfaite.
Les sources hébraïques de la Divine Comédie
Monument de la littérature mondiale la Divine Comédie ce poème de Dante Alighieri écrit en tercets enchaînés d’hendécasyllabes en langue vulgaire florentine a été composé, selon la critique, entre 1303 et 1321. La Commedia est l’œuvre de Dante la plus célèbre et l’un des plus importants témoignages de la civilisation occidentale. Produire une œuvre parfaite, telle était la volonté du poète qui a appelé sa Comédie : « poème sacré ». Un poème sacré en appelle à une langue où se révèle le caractère de l’absolu, ouverture sur l’infinité des interprétations.
Cette belle étude en trois parties met en lumière, d’une part, l’influence des civilisations orientales anciennes où la danse et la musique symbolisaient la lumière, la beauté et la joie. Très belle évocation de la jeune danseuse voilée Matelda. (page 32 et suivantes).
Et d’autre part, celle de la mystique juive, notamment du kabbaliste espagnol Abraham Aboulafia qui porta à un très haut niveau la sacralité du langage et sa corrélation au nom de Dieu. La langue hébraïque serait-elle le modèle de langue parfaite pour Dante ? Acceptée ou contestée, cette thèse a le mérite d’ouvrir des espaces de réflexion nouveaux, de mettre à jour des structures et des liens insoupçonnés.
La réhabilitation de Brunetto Latino
La troisième partie aborde la personnalité éminente de Brunetto Latino, maître de Dante, qui apparaît au chant XV de l’Enfer. Pour la majorité des commentateurs, ce chant est celui des sodomites ; pour André Pézard, il est celui des blasphémateurs de l’Esprit Saint. Ce dernier chapitre, La damnation de Brunetto Latino – l’hommage inversé de l’élève au maître, soutient la pensée de Pézard exposée dans sa Thèse magistrale, Dante sous la pluie de feu (1950) et l’excède sur plusieurs points. Ainsi, Dante met son maître en enfer parce qu’il n’a pas exploité ce que lui-même a exploité : la sacralité du langage, l’origine du langage dans le nom de Dieu. Il y est comme un hommage inversé de son élève. Hommage à l’homme qui ouvrit la voie à la littérature italienne. Critique à celui qui n’en prit conscience et dérapa. Latino n’a pas été l’homme de la clairvoyance. Voir clair, c’est voir loin. C’est œuvrer à la création d’une langue de référence des peuples de la péninsule, d’un italien capable de dire de grandes choses. C’est mener à terme un poème à prétention encyclopédique et le nourrir de la Révélation. La langue italienne est unique au monde : elle est née d’une œuvre. Les italiens de nos jours peuvent lire Dante directement sans traduction en langage moderne.
Dante révélé
Les trois parties de l’ouvrage révèlent ce qu’est Dante : un homme nourri des cultures méditerranéennes, croisant mythologies païennes et doctrines bibliques, voie ésotérique et exotérique de la connaissance, vision canonique et hétérodoxe de la foi. Un homme du continuum historique, conscient de la valeur du passé et tourné vers le futur. Ce texte remarquable, d’une jeune chercheuse qui est aussi une spécialiste de la danse orientale, apporte une vision nouvelle de certains aspects de la Comédie. Une vision unitaire que justifie ce regroupement.
Une œuvre de haute tenue intellectuelle
En conclusion, le travail de recherche de Myriam Benharroch est en tout point admirable. Clarté du style, élégance du champ lexical, originalité des hypothèses, hardiesse des comparaisons. Le texte est complété par des notes bas de pages qui éclairent et prolongent les idées. Un appareil bibliographique complet qui renvoi aux sources et un lexique de grande pertinence. Nous sommes en présence d’un ouvrage majeur, déjà salué par les Dantologues et qui a fait date en cette année anniversaire du grand poète. À lire de toute urgence.
Page 270 l’auteure nous plonge dans le merveilleux chant XV de l’Enfer à travers une grande finesse d’analyse.
Elle écrit : « La rigueur de Dante envers son maître se mesure à l’aune de sa spiritualité : le respect de la sacralité des écritures et de la sainteté de l’étude. Qui les néglige se coupe de son essence. Qui voit son erreur fait un retour sur soi et vers Dieu qui a donné la Loi, frein à la chute de l’humanité abandonnée à elle-même. L’idée de la repentance est esquissée dans l’image du retournement physique de Dante au début de ce chant XV ».
Siete voi qui, ser Brunetto? E quelli:
O figliuol mio, non ti dispiaccia
Se Brunetto Latino un poco teco
Ritorna indietro, e lascia andar la traccia
Vous êtes ici, ser Brunetto?
Et lui : Ô mon enfant, qu’il ne te déplaise
Si Brunetto Latino retourne sur ses pas
Un peu avec toi et laisse aller la file.
Myriam Benharroch L’Aura Harmonique de la Divine Comédie de Dante Alighieri
L’Harmattan février 2022 31 € dans toutes les bonnes librairies.
Jean François Principiano