Doktor Faust de Ferruccio Busoni
Du souffre sur Florence
Opéravenir a le plaisir de vous inviter à découvrir une œuvre majeure de l’histoire de la musique à travers cette rencontre virtuelle.
Busoni un Musicien complet
Musicien de génie, pédagogue, pianiste virtuose, Busoni fut aussi un critique redoutable, un théoricien et un professeur portant vers les sonorités avant-garde. Il est aujourd’hui davantage connu pour ses transcriptions de J.S. Bach que pour ses propres œuvres. Il écrivit pour tous les genres et sa musique est l’une des seules qui ne doit rien à Wagner ou Debussy. Ses affinités musicales partent du Classicisme de Bach, Mozart, et Liszt mais vont jusqu’à la porte du dodécaphonisme schönbergien sans y adhérer. Parmi ses élèves, citons Kurt Weill ou Edgar Varèse. Depuis quelques années ses œuvres suscitent un regain d’intérêt de la part des directeurs d’Opéras et en particulier son chef d’œuvre Doktor Faust de 1925.
Un italien en exil
Ferruccio Busoni 1866-1924 est né en Toscane, près de Florence dans le village d’Empoli. Fils d’une famille de musiciens, Busoni possède une double culture de par sa mère italienne (pianiste) et de son père allemand (clarinettiste). Toute sa vie, il gardera cette ambivalence culturelle : italien de cœur et allemand de choix. Dès l’âge de dix ans, la famille Busoni s’installe en Autriche, à Graz.
Un enfant prodige
Ferruccio est un enfant prodige : il donne son premier concert en tant que pianiste à l’âge de huit ans et dirige son propre Stabat Mater à l’âge de douze ans. Lors d’un concert à Vienne, il reçoit même une critique élogieuse de la part du redoutable Hanslick. Il intègre le Conservatoire de Leipzig en 1886 pour une durée de trois ans. Il y rencontrera Tchaïkovski, Grieg, Mahler ou Delius et compose son premier Quatuor en ré mineur op.26. Dès 1888, il commence son travail de transcription des œuvres pour piano de J.S. Bach. En 1890, sa réputation de pianiste virtuose est définitivement établie. Il commence sa carrière de pédagogue dès 1889, en enseignant aux Conservatoires d’Helsinki puis de Moscou. On note une brève interruption de son activité de professeur pour une tournée de virtuose aux Etats-Unis.
Pianiste et transcripteur
A son retour, il s’installe à Berlin, qu’il ne quittera que très peu, mis à part une pause à Zurich pendant la Première Guerre Mondiale. A Berlin, il organise de nombreux concerts de musique contemporaine, dirigeant lui-même les œuvres de Bartók, Sibelius, Debussy (première audition en Allemagne du Prélude à l’après-midi d’un faune) ou Fauré.Au public, il fera aussi découvrir Bach mais aussi Mozart, jouant de très belles cadences dans les Concertos pour piano, et Liszt (déjà tombé dans l’oubli); il donna en 1911 une série de six récitals retraçant dans la quasi intégralité l’œuvre de son émule pianistique. Ferruccio était l’un des plus grands pianistes de son temps. Parmi les témoignages : « Le jeu de Ferruccio est ce que l’on peut entendre de plus complet et de plus parfait » (Chantavoine), « Il jouait très simplement et toujours de très près, sans articulations exagérées, sans se balancer et sans grands gestes inutiles (…) Ses interprétations des Etudes de Chopin, des œuvres de Liszt, des Variations sur un thème de Paganini de Brahms, étaient d’une perfection vraiment incomparable » (Irène Baumme).
Busoni compositeur
Busoni est un pianiste de renom, il a donc composé pour cet instrument. Mais pour le piano, il est davantage connu pour son travail de transcriptions sur les œuvres de J.S. Bach (Edition Bach-Busoni, publiée chez Breitkopf et Härtel), mais aussi de Liszt, Brahms et Beethoven.
Ses œuvres pour piano sont d’une virtuosité sans commune mesure, comme son Concerto pour piano op.39 (1904), dont le dernier des cinq mouvements se compose d’un chœur d’hommes.
Pour orchestre, il compose une douzaine de pièces, un Concerto pour violon op.35 (1897), un Divertimento op.52 pour flûte et orchestre (1920).
Dans le domaine de la musique vocale, il laisse quelques cantates et œuvres chorales. Mais surtout, il est l’auteur de quatre opéras, dont le fameux Turandot et le posthume Doktor Faust, qui fut terminé par son élève Philippe Jarnach et créé à Dresde en 1925. Fait exemplaire, il est l’auteur des livrets de ses quatre ouvrages dramatiques.
Son style entre innovation et tradition
Musicalement, Ferruccio était un défenseur du Classicisme mais également un novateur. Il s’explique notamment dans le Projet d’une nouvelle esthétique musicale (1907), un traité anticonformiste dans lequel il conteste le recours à la forme sonate, aux modes majeur et mineur… et prône toutes les innovations à venir durant la première moitié du XX° siècle : emploi de modes anciens, polytonalité, et même de l’électronique (de sa tournée américaine, il avait ramené le dynamophone du Docteur Cahill, permettant de produire des sons inédits) !
En accord avec toutes ses idées, il écrit la Fantaisie indienne op.44 (1913), Romanza e Scherzoso op.54 (1921) et surtout dix Sonatines pour piano (1910-1920). Dans ces sonates, la forme traditionnelle est dépassée : il n’y a plus de formule d’écriture ni langage stéréotypé. Busoni enchaine les idées musicales les unes aux autres, présentant des audaces, des dissonances ou des consonances de façon insolite. Bien que proche de l’Ecole de Vienne dans ses idées, il n’adhèrera jamais au dodécaphonisme.
« La technique classique arrivera à épuisement au bout d’une étape dont elle a déjà couvert la plus grande partie. Où va mener l’étape suivante ? A mon avis, elle nous conduira aux sonorités abstraites, à une technique sans entraves, à une liberté tonale illimitée. Il faut reprendre tout à zéro en repartant d’une virginité absolue. »
Ferruccio Busoni meurt à Berlin en 1924, à l’âge de cinquante-huit ans officiellement d’une insuffisance cardiaque, et rénale le surmenage a dû également contribuer à sa mort. Doktor Faust est resté inachevé à sa mort et a été créé à titre posthume à Berlin en 1925.
Doktor Faust avant Goethe
Le livret est inspiré du mythe médiéval
Faust est Professeur et Recteur dans la petite ville de Wittenberg. Il est malheureux et déprimé. Trois étudiants de Cracovie sur ordre de Méphistophélès, offre a Faust un livre de magie, le Clavis Astartis Magica, qui va l’aider à «contraindre ceux qui l’ont broyé», exaucer sans délai tous ses ordres, et d’abord payer ou écarter ses créanciers, supprimer ses ennemis un soldat, frère d’une femme qu’il a séduite, l’Eglise qui veut aussi se saisir de lui et le brûler. Malgré sa répugnance, Faust accepte ces terribles services, prix de sa liberté, bien suprême qu’il appelle de ses vœux. Son enfer, comme il le dit, commence, et aussi, pour quelques années, une vie de plaisirs, de manipulations et d’étrange gaîté.
Au deuxième acte avec l’aide de Méphistophélès, le docteur se divertit à conjurer des esprits, dont celui d’Hélène, à tromper et ridiculiser le Duc de Parme, à séduire la Duchesse, qu’il abandonne bientôt, et à se vanter de ses mauvais tours sous les applaudissements d’un parterre de disciples ravis. Il se plaît, à provoquer puis à éteindre, au nom « du vin, des femmes, de l’art et de l’amour », une sotte rixe entre étudiants catholiques et réformés. Et Méphisto, jamais loin, rappelle le sort misérable de la Duchesse abandonnée et fait paraître à l’affolement général l’enfant mort.
Au troisième acte les mêmes visiteurs mystérieux de Cracovie qui lui avaient apporté le livre magique au cours du prologue annoncent à Faust, dans le dernier tableau, sa fin pour le soir même.