Idomeneo de Mozart avec Operavenir au Festival d’Aix en Provence

Idoménée, roi de Crète (Idomeneo, Re di Creta ossia Ilia e Idamante) est une commande du Prince Électeur pour le carnaval de Munich. Mozart, âgé de 24 ans, garde ici la structure de l’opera seria, c’est-à-dire une succession de récitatifs et d’airs avec reprises. La partition est composée sur un livret en italien de Giambattista Varesco. L’œuvre est directement inspirée du mythe antique d’Idoménée. La première représentation eut lieu le 29 janvier 1781 au théâtre Cuvilliés de Munich. Mozart et son librettiste se sont en grande partie inspirés de l’œuvre du même nom du compositeur français André Campra, Idoménée, publiée en 1712.

Inspiré d’Homère

Après la guerre de Troie, Idoménée, roi de Crète qui s’est battu avec les Grecs envoie des prisonniers troyens chez lui, dont Ilia, la fille de Priam. Ilia est victime d’un choix cornélien entre l’amour qui naît entre elle et Idamante, le fils d’Idoménée, et la haine qu’elle doit ressentir pour celui-ci, qui a vaincu son peuple. Furieux de la défaite des Troyens, Neptune provoque une tempête sur le chemin du retour d’Idoménée. Pour apaiser sa fureur, Idoménée fait le vœu de sacrifier la première personne qu’il croisera de retour sur terre. Comme par hasard, il tombe sur son fils Idamante. Il décide d’écarter son fils de Crête, et l’envoie reconduire Électre, qui passait par là (et qui est également amoureuse d’Idamante) chez elle à Argos. Neptune, furieux à nouveau, relance une tempête qui les empêche de prendre la mer, et de laquelle surgit un monstre marin qui ravage la Crête. Idamante part tuer le monstre. Finalement, Neptune se calme et demande à Idoménée de laisser le trône à son fils, qui régnera avec Ilia comme épouse.

Acte I : L’action se déroule en Crète, après la chute de Troie. Ilia, la fille de Priam, raconte qu’à son retour, la flotte grecque a été ravagée par une tempête, et qu’elle a été sauvée par Idamante, le fils d’Idoménée, le roi de Crête. Elle se lamente parce qu’elle aime Idamante, mais cet amour se heurte à la haine qu’elle devrait avoir pour ceux qui ont tué son père. Idamante paraît et, généreux et par amour pour Ilia, libère les prisonniers troyens (Chœur : « Jouissons de la paix ».)  Électre, la fille d’Agamemnon qui s’est réfugiée en Crète après le meurtre commis par sa mère reproche cette libération à Idamante, pour lequel elle éprouve elle aussi une vive passion. Arbace, le confident d’Idoménée annonce la mort du roi, qui a péri dans un naufrage. Électre craint qu’Idamante, devenu roi, n’épouse Ilia (Air : « Je sens frémir en mon cœur » « Tutte nel cor vi sento »).

Sur le rivage, le peuple implore les dieux devant les flots déchaînés. La tempête se calme, et Idoménée descend sur terre. Il révèle que pour calmer la fureur Neptune, il a fait le vœu de lui sacrifier la première personne qu’il rencontrera sur la terre ferme. Mais c’est son fils Idamante que le roi voit s’avancer vers lui. Épouvanté, Idoménée fuit, laissant Idamante dans le désarroi (Air : « Il padre adorato »).

Acte II : Le peuple rend hommage à Neptune, qui lui a rendu son roi. Idoménée révèle à Arbace le vœu qu’il a fait. Arbace lui conseille d’éloigner Idamante. Le roi décide alors de l’envoyer à Argos pour raccompagner Électre dans sa patrie. Ilia remercie Idamante pour sa générosité envers son peuple (Air : « Si j’ai perdu mon père » « Se-il padre perdei ».) Le roi touché par cette gratitude, lui promet sa protection. Il devine les sentiments qu’Ilia a pour Idamante (Air : « Je suis sauvé des flots, mais mon cœur chavire »).

Électre est ravie de rejoindre sa patrie, mais au moment du départ, la tempête reprend de plus belle, et un monstre sort des flots tumultueux. Idoménée se déclare responsable de la fureur de Neptune, et offre de se sacrifier lui-même au dieu barbare (Air : « Fuor del mar »).

Acte III : Ilia prend la nature à témoin de sa douleur (air : « Zéphir léger et charmant » « Zeffiretti lusinghieri ») quand Idamante survient.

Devant l’indifférence apparente d’Ilia, il veut affronter le monstre qui ravage le pays. Ilia lui révèle alors ses vrais sentiments, et ils se déclarent mutuellement leur amour (Duo : « T’amo, t’adoro »).

Idoménée et Électre les surprennent, pressant Idamante de partir au plus tôt (Quatuor : « Andro’ ramingo e solo »  ).

Devant les ravages causés dans le pays, le grand prêtre vient réclamer d’Idoménée qu’il accomplisse son vœu. Le roi révèle alors que c’est son propre fils qu’il doit immoler. Ils se dirigent vers le temple de Neptune, lieu du sacrifice, quand on apprend qu’Idamante a vaincu le monstre et qu’il revient s’offrir au sacrifice.

Au moment où Idoménée va frapper, Ilia s’interpose et s’offre comme victime. Un oracle de Neptune ordonne alors qu’Idoménée renonce à son trône, au profit de son fils, qui régnera avec Ilia comme épouse. La joie éclate. Pendant qu’Électre, furieuse, s’enfuit, la foule éclate de joie célébrant les nouveaux époux et la paix revenue.

Le sens de l’œuvre

« Une de ces œuvres que même un génie de tout premier ordre comme Mozart ne réussit qu’une fois dans sa vie. ». C’est ainsi que le musicologue Alfred Einstein définissait Idoménée, roi de Crète, troisième incursion de Mozart dans le genre de l’« opéra seria » dont il fait éclater les cadres traditionnels pour ouvrir la voie au drame lyrique. Après Mithridate (1770) et Lucio Silla (1772), alliant la fougue de la jeunesse à la maîtrise de la maturité, Mozart utilise en les modifiant profondément les éléments d’un genre basé sur des airs qui s’enchaînent sans véritable souci de la progression dramatique. Le héros lié par un serment qui le contraint à sacrifier un être cher, thème en vogue au XVIIIème siècle, lui offrait de belles ressources. Comme en témoigne l’abondante correspondance échangée avec son père durant la courte et passionnante genèse de cet ouvrage.

Mozart a constamment cherché à modifier le livret initial qu’il jugeait décevant, en lui insufflant une dynamique théâtrale nouvelle grâce à ses innovations musicales. La présence à Munich du fameux Orchestre de Mannheim considéré alors comme le meilleur d’Europe, a contribué au développement d’une exceptionnelle richesse symphonique.

Dès l’Ouverture, l’orchestre accède au rang de véritable protagoniste. L’importance et la puissance d’expression des chœurs, qui s’inspirent de la tragédie lyrique de Gluck, découverte à Paris, préfigurent La Flûte Enchantée.

Ilia et Idamante préparent Pamina et Tamino tandis qu’Electre, furie pleine de noirceur, prend un relief extraordinaire grâce aux audaces d’écriture qui caractérisent ce rôle annonciateur de la Reine de la nuit. Idoménée, conçu sur mesure pour le célèbre ténor Anton Raaff, continue de séduire les plus grands, comme Pavarotti et Domingo.

Cet opéra novateur fut le premier grand succès de Mozart qui mettait en scène l’abdication d’un roi en faveur de son fils au moment même où il se dégageait de la tutelle de son père.

L’ouvrage a connu trois versions : une partition initiale précédant la représentation ; celle utilisée en 1781 lors de la première munichoise comportant des suppressions et une version créée lors d’une reprise à Vienne en 1786.

Considéré comme le premier chef-d’œuvre de Mozart, Idomeneo est une œuvre d’une grande intensité musicale et dramatique, dévoilant la profondeur psychologique des personnages. Centré autour des relations père-fils, l’opéra résonne comme un écho à la propre vie du compositeur.

Idomeneo (imposant Michael Spyres), Idamante (remarquablement expressive Anna Bonitatibus) et Ilia (éthérée Sabine Devieilhe) sont les « héros de la production aixoise ». Mise en scène Satoshi Miyagi direction musicale  Raphael Pichon. Orchestre Pygmalion.

Orchestration originale : 2fl, picc,2 ob, 2cl, 2fg,4cors, 2tp,3tbn, timp-quatuor à cordes.

Jean François Principiano