L’association varoise Opéravenir Culture nouvelle propose une sortie organisée le 6 août pour découvrir un grand opéra d’Amilcare Ponchielli, la Gioconda dans une distribution internationale et une mise en scène de Jean Louis Grinda dans le Théâtre antique.
La Gioconda qui veut dire en italien la joyeuse (rien à voir avec le célèbre portrait de Leonard de Vinci) est une partition lyrique écrite entre 1874 et 1875 et donnée pour la première fois triomphalement à la Scala de Milan en avril 1876.
Amilcare Ponchielli 1834-1886 le maître de Puccini.
C’est un pur produit du conservatoire de Milan, (fondé par Napoléon en 1803) où Ponchielli enseigna lui-même à la fin de sa vie.
D’origines modestes, son début de carrière fut difficile. Il dut accepter des petits boulots dans de petites villes. Il composa plusieurs opéras sans succès au début. Malgré ces déceptions, il acquit une grande expérience en tant que chef d’un orchestre d’harmonie (capobanda) à Plaisance et Crémone, arrangeant et composant plus de 200 œuvres pour orchestre d’harmonie.
Le tournant de sa carrière fut le grand succès de la version révisée de I promessi sposi opéra d’après Manzoni en 1872, qui lui valut un contrat avec l’éditeur musical Giulio Ricordi et un poste musical à La Scala. Le rôle de Lucia dans la version révisée était chanté par la jolie cantatrice Teresina Brambilla qu’il épousa en 1874. Leur fils Annibale deviendra critique musical et également compositeur.
Le ballet Le due gemelle (Les deux jumelles, 1873) confirma son succès. Mais c’est avec la flamboyante Gioconda que son nom est passé à la postérité. Sur un livret de Arrigo Boïto, lui-même compositeur d’un Mefistofele musicalement très riche, Ponchielli compose un drame inspiré par la pièce de Victor Hugo Angelo tyran de Padoue.
En 1881, il est nommé maître de chapelle à Bergame. Ses opéras, représentés avec beaucoup de succès en leur temps, se réclament de la tradition de Giuseppe Verdi. Grand fumeur, grand buveur, il meurt précocement à 51 ans, en pleine gloire, d’un infarctus du myocarde.
La Gioconda d’Arrigo Boïto
Le livret de Boïto reprend assez bien la tragédie historique de Victor Hugo qui fut donnée à Milan en 1835. C’est une sombre histoire romantique mêlant les conflits de sentiments à la dénonciation politique et à l’anticléricalisme du poète français. « Le catholicisme ne sera sauvé que par l’abandon de ses deux péchés de jeunesse : l’intolérance et l’appui des puissants ! »
Venise XVII siècle.
Gioconda, une jeune chanteuse des rues fort belle. Elle a 17 ans et est amoureuse du marin Enzo Grimaldi qui est en fait un jeune génois de noble famille exilé. Il vit sur un bateau, un brigantino et se livre a de multiples trafics maritimes. Il est beau et séduisant. A Venise sur le Grand Canal c’est un peu la vedette, le joli cœur, il cicio bello !
Il a rencontré la charmante Laura, jeune épouse d’Alvise Badoero, un membre des dix, le gouvernement de la République de Venise (personnage historique) qui est chargé du maintien de l’ordre dans la lagune. Il est assisté dans sa tâche par un indicateur le sinistre Barnaba, lui-même follement épris de la jeune Gioconda…
Au début de l’opéra on assite à des Régates sur le Grand canal. C’est jour de fête. La Gioconda accompagnée de sa mère une vieille aveugle, est harcelée par Barnaba. Laura s’interpose lorsque Barnaba excite la foule contre la vieille dame qui aurait jeté un sort sur le perdant de la course. En signe de reconnaissance la Cieca lui donne son rosaire, un collier à prière qui doit lui porter bonheur.
Plus tard Barnaba a compris que la Gioconda et Laura sont rivales et qu’elles aiment toutes les deux le bel Enzo.
Lors d’une rencontre nocturne entre Laura et Enzo, Alvise, le mari surprend les deux amoureux. Fou de douleur Alvise veut se venger de sa femme infidèle. Au cours d’une fête Alvise force Laura à boire un poison. Mais la Gioconda subtilise le verre empoisonné et le remplace par un puissant somnifère. Tout le monde croit Laura morte empoisonnée par la Gioconda.
Lors du dernier acte Enzo chante son désespoir. Laura est morte, il croit même que c’est la Gioconda qui l’a empoisonné. Cette dernière lui dévoile alors la vérité. Un beau trio permet à Ponchielli et Boïto de s’épancher dans une sorte de prière à trois voix remerciant la générosité de la jeune fille qui a favorisé l’amour des deux amants et s’apprête à leur permettre de fuir sur un navire pour l’Illyrie voisine.
Après leur départ Barnaba apparait et réclame l’exécution de la promesse de la Gioconda de se donner à lui pour sauver sa mère. Elle se suicide au dernier moment. Il a juste le temps de lui dire qu’il a déjà fait exécuter la pauvre aveugle. L’œuvre s’achève dans un final soulignant l’opposition entre le Mal absolu de Barnaba et la noble générosité de la jeune fille des rues. Merci Victor Hugo !
La musique de Ponchielli entre le dernier Verdi et le premier Puccini
Ponchielli utilise un orchestre imposant de plus de 80 musiciens auquel s’adjoint un chœur de 120 choristes et un corps de ballet au complet. L’esthétique musicale est postromantique, sur un livret qui tire un peu vers la grandiloquence rhétorique.
De nombreux chœurs, deux ballets en situation dont la fameuse danse des heures.
Ponchielli exige une déclamation lyrique pré-vériste (éclats de voix, rinforzando, registre parlé ou murmuré, hurlements de douleurs, deux arias difficiles pour soprano et un grand air pour ténor redouté des interprètes par sa tessiture très tendue). Il faut des voix puissantes, capables de rivaliser avec un orchestre wagnérien monumental.
Tous les registres vocaux sont convoqués : ténor di grazia, ténor lirico-spinto, mezzo-soprano, soprano dramatique, baryton verdien, baryton – martin, basse-profonde, basse-bouffe, chœurs d’enfants…Souvent le cast est distribué à des chanteurs à coffre, alors que la Gioconda n’a que 17 ans dans la tragédie, Enzo 22 ans et Laura à peine 28 ans …
Ecriture musicale très soignée
L’écriture musicale est raffinée avec de nombreux effets timbriques novateurs. Ponchielli était un grand professeur d’harmonie, de contrepoint ainsi qu’un solide orchestrateur. C’est lui qui a formé Puccini lequel avait une véritable vénération pour son maître. On remarquera l’utilisation des harpes, du triangle, du piccolo. Les cordes sont toujours sollicitées avec autorité notamment pour doubler les voix, ce qui accentue le lyrisme brûlant des fins de scènes. Les timbales sont omni présentes dans les ensembles. Ponchielli écrit très bien pour le chœur qui est ici en cinq parties contrairement au Verdi de la même époque. Quant à la Danse des heures (video) c’est un moment d’une rare fraicheur d’inspiration servie par une maîtrise de l’orchestre rarement atteinte dans l’univers lyrique du XIX° siècle.
Enfin, au cours des 4 actes le compositeur, fidèle à l’esprit de la tragédie hugolienne, recherche les effets de contraste et surtout il a bien écouté Wagner et sa révolution, utilisant judieusement, on pourrait dire à l’italienne, la technique des leitmotivs, chaque sentiment, chaque symbole se reconnaît par une petite phrase musicale identitaire que Ponchielli entremêle avec art : l’amour, la mort, la passion, la vengeance, la compassion, le rosaire, la mer, l’espoir, la trahison, la Croix, le pardon, le sacrifice, la liberté, la rédemption …
Peut être l’œuvre est-elle un peu longue (plus de trois heures) et sur un livret très littéraire qui suit trop fidèlement à la lettre les idéaux romantiques de Victor Hugo ? On sait que son théâtre, tel quel, n’est plus très compatible avec les priorités des publics de notre époque.
La Version des Chorégies d’Orange.
En revanche la Gioconda est idéale pour des lieux comme Orange, Vérone ou Macerata. Il s’agit d’une coproduction de l’Opéra de Nice et de Monte Carlo qui a été adaptée à la monumentalité du lieu. Jean Louis Grinda et Laurent Castaing ont été loués à l’Opéra de Marseille pour leur travail scénique déjà vu et commenté. S’ajoute aussi des projections vidéo d’Etienne Guiol et Armand Pottier dont on avait déjà apprécié le travail, qui soulignent avec bonheur les moments d’éclats attendus de la partition : Cielo e Mar ! O monumento ! Suicidio ! Le mur est respecté et magnifié.
Distribution internationale
Gioconda Csilla Boros ; Laura Clémentine Margaine ; La Cieca Marianne Cornetti ; Enzo Stefano La Colla ; Barnaba Claudio Sgura ; Alvise Alexandre Vinogradov ; Barnabotto Servan Vasile. Choeurs d’Avignon, Monte Carlo et Toulouse.
Orchestre Philharmonique de Nice sous la direction de Daniele Callegari ; chorégraphie Marc Ribaud ; Vidéos Etienne Guiol et Arnaud Pottier.
Mise en scène Jean Louis Grinda.
Le sens de l’œuvre
Avant tout disons que Boïto et Ponchielli, créateurs à l’esprit progressiste (ils étaient tous les deux Francs-Maçons et appartenaient au mouvement dit de la Scapigliatura) ont voulu créer un grand opéra populaire basé sur l’amour, le sens du sacrifice et la noblesse des gens du peuple. Cette intention est confirmée par une lettre à leur éditeur Ricordi lors du remaniement final en 1876. (Un an après Carmen !)
Ils ont, en ce sens donné à l’Histoire de la musique, peut être pas un chef d’œuvre absolu mais un témoignage émouvant de l’espérance en l’humain hors de tout contexte social ou d’éducation. Une jeune fille pauvre se sacrifie par amour et par compassion envers deux êtres qu’elle sauvera d’une situation d’injustice. La seule noblesse est celle du cœur !
La Gioconda est une jeune sauvageonne émancipée qui raisonne avec passion et qui va jusqu’au sacrifice suprême avec une grandeur d’âme émouvante. En somme cet opéra fondamentalement italien a quelque chose du néo-réalisme cinématographique avant l’heure, démontrant l’abnégation des engagements chez les gens du petit peuple des rues au moment ou l’industrialisation de l’Europe occidentale accentuait davantage encore les inégalités et l’oppression sociale.
Paradoxalement et c’est tant mieux, la bourgeoisie milanaise a accueilli l’œuvre avec joie et reconnaissance car derrière la dénonciation hugolienne il y a la perception du fond chrétien de notre civilisation. Le collier sous forme de rosaire qu’offre la pauvre aveugle à la belle Laura, sur le leitmotiv de l’amour symbolise aussi la compassion et le pardon. Ce thème bien perceptible parcourt toute la partition comme une petite voix qui nous murmure à l’oreille de ne jamais désespérer.