La Périchole brûle les planches à l’Opéra de Toulon
Troisième spectacle de la saison, la Périchole d’Offenbach a tenu toutes ses promesses le 28 décembre lors de la première sur la scène varoise. Une version très théâtrale servie par une distribution jeune et dynamisée, dans une mise en scène alerte et rythmée de Laurent Pelly et une direction musicale attentive de Laurent Campellone. Une réussite !
Le choix du rythme
Laurent Pelly l’avait annoncé lors des représentations du Théâtre des Champs-Elysées : « nous avons opté pour un théâtre chanté ». C’est évident dès les premières scènes et le premier duo entre la Périchole et Piquillo d’autant que le chef Laurent Campelonne choisit des tempi rapides. L’ensemble de la représentation, d’ailleurs, donna une impression générale de tourbillon irrésistible. Ce choix global correspond bien à la légèreté du propos qui évoque les tourments d’un couple de jeunes chanteurs des rues confrontés à la misère et aux séductions du pouvoir d’un vice-roi du Pérou madré et corrompu comme il se doit.
Décors et costumes suggestifs
Cette coproduction du Théâtre des Champs-Elysées avec Toulon, Dijon et Liège s’appuie sur une scénographie dessinée par Chantal Thomas transformant avec bonheur le Lima de pacotille en un cadre urbain vaguement hispanique où évoluent les divers protagonistes, saltimbanques, petit peuple, intrigants colorés de toutes sortes, dont les dialogues ont été un peu retouchés et modernisés par Agathe Mélinand.
Jean-Jacques Delmotte pour les costumes et Laurent Pelly pour les décors offrent un écrin évocateur d’un exotisme intemporel polychrome qui s’efforce d’échapper aux lieux communs d’une Amérique latine de carte postale. Cette intemporalité bienvenue universalise les scènes de chœurs et de danses bien réglées par le réalisateur de la mise en scène Paul Higgins. Parfois cependant, le rythme des sketchs s’emballe un peu trop au détriment de la musicalité, de la substance vocale de l’œuvre.
Sensibilité préservée
On saura donc gré à Antoinette Dennefeld (soprano) d’avoir su conserver une belle sensibilité dans les grands moments lyriques de la partition comme dans l’air de la Lettre ou dans sa déclaration d’amour à son compagnon d’infortune. Elle a été aussi convaincante comme chanteuse que comme comédienne.
Le ténor léger Philippe Talbot est doté d’une voix agréable, d’une grande souplesse, avec des aigus faciles et un phrasé musical. Sa jeunesse d’amoureux déluré et sa tristesse de mari récalcitrant a conquis le public (salle comble).
Le Don Andrès cocasse et gauche d’Alexandre Duhamel a tous les arguments scéniques pour entrainer sa cour dans cette folle nuit « incognito ». Il a été éclatant de drôlerie dans le final du deuxième acte, menant l’aventure chorale à son apogée avec une maitrise superbe d’autorité.
Prestations remarquées dans les rôles secondaires de Rodolphe Briand (Don Miguel de Panatellas), Lionel Lhote (Don Pedro de Hinoyosa), Eddy Letexier irrésistible dans le Marquis de Tarapote. Soulignons la fraîcheur et l’impertinence des trois cousines Chloé Briot, Alix Le Saux, Valentine Lemercier et de Nathalie Perez qui incarna avec charme Frasquinella.
L’orchestre et les chœurs de l’Opéra de Toulon
En petite formation classique, l’orchestre toulonnais a été un des artisans du succès de la soirée par sa ductilité et son aisance rythmique. De belles interventions dans la petite harmonie, prestations impeccables aux flûtes, hautbois, clarinettes, mais également aux premiers violons et aux violoncelles (l’instrument cher à Offenbach) ont ponctué les moments forts de la direction de Laurent Campellone, un chef inspiré à la battue précise et souple. Les chœurs bien préparés à cette prestation scénique trépidante par Christophe Bernollin ont été judicieusement intégrés à l’aventure théâtrale malgré quelques décalages et problèmes de mesure qui pourront être corrigés lors les représentations à venir.
Un climat onirique
On a pu apprécier la qualité des lumières de Michel Le Borgne réalisées par Sarah Eger. Elles ont nimbé les scènes d’ensemble d’un éclat festif et rayonnant tout en préservant l’individualisation des protagonistes principaux. Ce sont elles qui ont suivi et souligné l’évolution de l’œuvre, passant tour à tour de la fête débridée à la nostalgie méditative puis à la révolte contre le destin avant l’éblouissant final.
On sait qu’Offenbach, en dépit de sa musique apparemment joyeuse, avait un penchant au pessimisme et qu’il pressentait l’évolution du public parisien. Dans une lettre retrouvée lors de la création de la version en trois actes à Paris au Théâtre des Variétés, le 25 avril 1874, il écrit : « Je sens bien que ce n’est plus mon moment ! ». En effet, la France venait de perdre la Guerre de 1870. Paris avait connu un long siège et la Commune s’était terminée dans un bain de sang. Le pays amputé de l’Alsace Lorraine. Le temps n’était plus à la rigolade !
Aujourd’hui, l’œuvre porte une autre problématique, bien au goût du jour. Laurent Pelly propose le portrait d’une jeune femme éprise de liberté ; une petite Carmen des rues en somme ! car si son parcours présente une tragique image de la condition des artistes d’alors, La Périchole, envers et contre tous, défend sa liberté de femme et d’artiste !
Prochaines représentations de la Périchole d’Offenbach 30 et 31 décembre 20h Opéra de Toulon. 04 94 92 70 78 et https://www.operadetoulon.fr/