L’épopée romanesque du dernier résistant varois
Théodore Mattéï par Antoine Casanova.
Il s’appelait Theodore Mattéï et il vient de nous quitter en mars dernier à l’Age de 98 ans. Il avait seize ans lorsque la guerre le surprend comme jeune civil puis le poursuit comme militaire et pour finir héros de la Résistance. Un jeune écrivain cuersois Antoine Casanova a eu le temps de recueillir ses mémoires pour en écrire un livre passionnant, véritable roman d’aventure et de courage. Le livre Périple dans l’oubli mérite d’être lu tant par le foisonnement des détails historiques que par la vigueur du style.
Le roman d’un jeune toulonnais pendant la guerre
Le livre est écrit à la première personne, le narrateur étant le protagoniste des différentes péripéties vécues et transcrites dans le style alerte de Casanova. On suit le jeune homme depuis la mobilisation générale jusqu’à la libération de Toulon. Le jeune élève de Rouvière prend conscience des événements au moment où il entre comme apprenti à l’arsenal de Toulon le 25 septembre 1939. Il assiste aux mouvements de foule notamment contre les italiens présents en Provence lorsque Mussolini poignarde dans le dos la France déjà vaincue. Les pages sont parsemées de notes historiques bien mise en situation. Peu à peu le dialogue avec l’auteur s’affine.
De la petite à la grande histoire
Les questions abondent. Le livre de Casanova se déploie progressivement, passant de la petite à la grande histoire. Et toujours sous forme de petits chapitres très repérables. Les personnages et leurs sentiments parsèment le bouquin comme Célestine, Eucat, Lulu et Jim, Campana, Madame Boisé la femme de l’adjudant-chef…
Mais dès le début les événements se précipitent autour du jeune corse, comme Mers el Kébir ou la traversée vers l’Espagne et l’expérience de la prison. D’abord jeune militaire à Draguignan dans l’armée de Pétain il penche vers le refus de la défaite et de Gaulle. Il est démobilisé à l’arrivée des italiens. Son destin se précise.
Un style incisif
Plus avant on découvre la vie à Toulon sous l’occupation allemande en 1942. Le bombardement par les anglo-américains le 27 novembre 1943, très bien décrit page 177. « Grinçante, la presse collaboratrice titrera le lendemain, Vous les attendiez ils sont venus ! »
Le style devient plus incisif, exemple page 200 : « Toulon se vide. Des quartiers sont évacués, les écoles et les hôpitaux sont repliés vers d’autres communes qui connaissent des afflux sensibles de population. La ville n’a plus sa physionomie…Elle se fait abandonner. Je passe dans des quartiers délabrés, sinistrés, la vie y est insalubre. Les conduites d’eau sont pétées, les égouts fuient n’importe où, les effluents se répandent dans les rues… Des pillards s’en donnent à cœur joie… » On remarquera le style célinien, toutes proportions gardées, avec les trois points de suspension…
Le Corps franc de Libération
Son engagement prenant forme, Mattéï devient convoyeur d’armes pour la Résistance. La violence du récit s’intensifie. Les interrogatoires de miliciens sont sanglants. De son côté la Gestapo, installée à la Coquette multiplie les tortures. Le climat du livre s’épaissit. Le narrateur décrit les actes dans un style froid et neutre comme page 215 « Nous nous levons calmement, sortons notre révolver et abattons les deux collabos nous ayant été désignés. Un chargeur pour chacun. » Parfois, au détour d’une phrase on se demande s’il n’y a pas un peu d’exagération devant le nombre d’événements sanglants auxquels aurait participé le narrateur. Les historiens sont plus circonspects sur les actes armés de résistance individuels avant fin 1943. Mais il s’agit avant tout d’un roman à double filtre celui de la mémoire du protagoniste et celui du récit du narrateur…
L’horreur sans états d’âme.
Casanova, fidèle transcripteur, nuance un peu le trait d’une remarque judicieuse : « La fureur du peuple est horrible. Tout raisonnement semble l’avoir quitté pour laisser place à une haine dévorante. » Installé à la Coquette, à la Place des allemands désormais vaincus, Mattéï retrouve Célestine qu’il sauve de l’épuration sauvage. « Tu m’as sauvé la vie. Je ne serai pas une ingrate. Si tu veux, je tapine pour toi pendant deux ans ! »
La France occupe une partie de l’Allemagne vaincue. L’ancien résistant est maintenant l’occupant en Allemagne à Villingen. Les épisodes toujours aussi violents se succèdent, comme le viol par des tabors marocains (membres de l’armée française) de la douce Annaliesa. Mattéï se livre à diverses aventures amoureuses décrites là encore sans complexes. L’épisode de la femme de Boisé page 375 est saisissant. C’est le bon temps de la période de Constance près de la frontière suisse où notre héros découvre les extases de la musique classique en compagnie de la délicate Ruth…Ce fut aussi la période la plus dure pour les femmes allemandes…Mattéï a su garder sa dignité de jeune idéaliste au milieu de cette triste époque.
Retour du héros à Toulon et péroraison
Mattéï revient à Toulon après l’épisode enchanteur de Constance et travaille désormais pour l’entreprise Lovisolo, un sous-traitant de l’arsenal. « Ma vie se règle au rythme de mon travail à l’arsenal. Je suis définitivement rentré dans le rang. » Il prend conscience du monde du travail et des compromissions financières de l’après-guerre.
Le livre s’achève avec une série de flash-back sur les événements dramatiques du 13 août 44* où il frôla la mort (ils constituent un fil rouge tout au long du récit). On le retrouve au soir de sa longue vie dans quelques pages méditatives émouvantes lors des commémorations du 13 août 2019, page 509. La boucle est bouclée.
« J’ignore quelle sera l’utilité de ce livre, déclare-t-il dans une lettre insérée à la fin du Roman, mais je crois qu’il nous ramène encore une fois au destin de tout un chacun. Ce destin qui nous entraine, qui nous ancre dans l’existence et finalement qui nous fait chuter comme un rien dans le puits de l’oubli. »
C’est tout le mérite immense d’Antoine Casanova, jeune auteur prometteur, d’avoir fait œuvre de mémoire historique dans un ouvrage romancé, bien écrit, parfois avec un plan narratif un peu trop éclaté, mais qui rend compte avec sincérité et passion d’une vie traversée et bouleversée par l’Histoire. L’itinéraire d’un jeune toulonnais devenu résistant que l’on ne saurait ignorer.
Périple dans l’oubli par Antoine Casanova éditions Edilivre 26€
Jean -François Principiano
* 13 août 2022 dans le cadre du 78e anniversaire du débarquement en Provence et de la Libération, le Comité de Toulon de l’ANACR présidée par Gerard Estragon organise une cérémonie en hommage à deux membres du Corps franc de la Libération, Jacques Bruschini et Roger Sotgiu, abattus deux jours avant le Débarquement du 15 août 1944 et à Come Menna, tué au cours de la Libération de Toulon. Le rassemblement aura lieu au Monument aux Morts du Pont de Bois à 18h pour se diriger Quai Rivière Neuve et déposer une gerbe devant la plaque dédiée à Come Menna. Antoine Casanova et son livre consacré à Theodore Mattéi seront présents.