L’Amour nous surprendra toujours ! Marivaux au Liberté
La Seconde Surprise de l’amour est une comédie en trois actes et en prose de Marivaux représentée pour la première fois le 31 décembre 1727 par les comédiens ordinaires du roi au théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain. Elle sera donnée le jeudi 20 et le vendredi 21 janvier au Théâtre Liberté de Toulon 20h 30 dans la mise en scène d’Alain Françon.
Le triomphe de l’amour
La Seconde Surprise de l’amour est dédiée en des termes d’une plate et basse flatterie à la duchesse du Maine, la fille du Grand Condé… ce qui donne à penser sur la triste situation d’assujettissement dans laquelle se trouvait la vie culturelle à la veille de la Révolution Française…les temps ont-ils changés ? *. Elle sera donnée à Toulon, hasard du calendrier, le 21 janvier, date de l’exécution de Louis XVI… On comprend un peu pourquoi…
Mais revenons au texte. Ici c’est la marquise qui est au premier plan, et c’est sur l’évolution de ses sentiments que l’action se concentre. Réticences d’un amour qui s’ignore ou qui se combat lui-même, aveux retardés par la pudeur, paroles qui démentent les sentiments, tels sont les traits charmants de cette comédie de marivaudage. « Peser des œufs de mouche dans des balances en toile d’araignée » : par cette formule pleine de perfidie, Voltaire dénigrait le raffinement jugé excessif des pièces de Marivaux. Et pourtant…
Un théâtre de l’introspection sentimentale
La Marquise est une veuve qui, après avoir perdu son époux tendrement aimé juste un mois après l’avoir épousé, se dit inconsolable. Un pédant du nom d’Hortensius qu’elle a engagé pour lui lire Sénèque passe plus de temps à poursuivre Lisette, qui ne l’écoute guère, de ses plaisanteries pédantesques et raffinées. Un chevalier, ami du mari, auquel elle ne peut refuser sa porte, vient aussi quelquefois la voir. Le chevalier, un amour malheureux au cœur, est décidé à pleurer à jamais l’infidélité de sa maîtresse Angélique. Lorsque Lisette l’engage, pour faire diversion, à épouser la marquise, il refuse. Lorsqu’elle apprend ce refus, Ia marquise est indignée, en apparence contre Lisette qui l’a compromise en offrant sa main, et en réalité contre le chevalier qui l’a refusée.
Se jurant d’assujettir le rebelle, elle y parvient et l’amène à ses pieds. Mais, dans cette poursuite acharnée, elle a oublié de conserver son propre cœur. Si le chevalier est conquis, elle l’est également, et elle finira par l’épouser. Ce thème appelle quelques réflexions. On constate qu’il est complétement coupé de la réalité sociale même à l’époque de sa création. Un moment où la grande majorité du peuple français crevait de faim à cause d’une société inégalitaire et spéculative. Il s’agit donc d’un divertissement de nantis égoïstes ou d’aristocrates corrompus. C’était le public de Marivaux. On peut se demander l’utilité d’un tel texte de nos jours, mis à part la qualité de la forme et la beauté de la langue.
La profession de foi d’Alain Françon.
Le thème comique (l’amour quand on ne l’attendait plus, triomphant de tous les obstacles) pourrait donc sembler conventionnel. Mais Marivaux sait tirer de la mélodie la plus simple des dissonances inattendues, et de la “répétition de l’unique”, écrit Alain Françon, une irrésistible nouveauté. Dramaturge, il sait qu’un personnage ne parle jamais tout à fait d’une seule voix. Celle de la conscience paraît jurer parfois avec celle du sentiment, et qui peut se vanter d’avoir l’oreille assez fine pour toujours démêler leur concert ? Marivaux, lui, l’entend et le fait entendre. Sa langue polie et vibrante ne laisse jamais oublier qu’à tout moment la musique des cœurs peut tourner à la cacophonie, voire au chaos. Rien n’est tout à fait prévisible, car “la durée du personnage marivaudien,” note Françon, est celle d’“un roman impromptu” dont l’issue n’est jamais sûre, jusqu’à l’ultime seconde du troisième acte… Revenant à un théâtre qui fait “une confiance inouïe à la cure par le langage”, Françon, grand directeur d’acteurs, a confié cette partition à de jeunes interprètes qui en restituent toute la subtile vivacité.
Avec Pierre-François Garel dans le rôle du chevalier et Georgia Scalliet dans le rôle de la Marquise, Thomas Blanchard, Rodolphe Congé, Suzanne De Baecque dans le rôle de Lisette et Alexandre Ruby. Dramaturgie/assistant à la mise en scène David Tuaillon, scénographie Jacques Gabel, lumière Joël Hourbeigt costumes Marie La Rocca musique Marie-Jeanne Séréro, chorégraphie Caroline Marcadé, coiffures/maquillages Judith Scotto, son Léonard Françon, Pierre Bodeux.
Le Théâtre des nuages de neige d’Alain Françon est soutenu par la Direction générale de la création artistique du ministère de la Culture
Jeudi 20 et vendredi 21 janvier La seconde surprise de l’amour de Marivaux mise en scène Alain Françon Théâtre Liberté 20h 30 www.chateauvallon-liberté.fr tel 09 800 840 40
Jean François Principiano
*Dédicace à son altesse sérénissime Madame la duchesse du Maine.
Madame,
Je ne m’attendais pas que mes ouvrages ne dussent jamais me procurer l’honneur infini d’en dédier un à Votre Altesse Sérénissime. Rien de tout ce que j’étais capable de faire ne m’aurait paru digne de cette fortune-là. Quelle proportion, aurais-je dit, de mes faibles talents et de ceux qu’il faudrait pour amuser la délicatesse d’esprit de cette Princesse ! Je pense encore de même ; et cependant, aujourd’hui, vous me permettez de vous faire un hommage de la Surprise de l’amour. On a même vu Votre Altesse Sérénissime s’y plaire, et en applaudir les représentations. Je ne saurais me refuser de le dire aux lecteurs, et je puis effectivement en tirer vanité ; mais elle doit être modeste, et voici pourquoi : les esprits aussi supérieurs que le vôtre, Madame, n’exigent pas dans un ouvrage toute l’excellence qu’ils y pourraient souhaiter ; puis indulgents que les demi-esprits, ce n’est pas au poids de tout leur goût qu’ils le pèsent pour l’estimer. Ils composent, pour ainsi dire, avec un auteur ; ils observent avec finesse ce qu’il est capable de faire, eu égard à ses forces ; et s’il le fait, ils sont contents, parce qu’il a été aussi loin qu’il pouvait aller ; et voilà positivement le cas où se trouve la Surprise de l’amour. Madame, Votre Altesse Sérénissime a jugé qu’elle avait à peu près le degré de bonté que je pouvais lui donner, et cela vous a suffi pour l’approuver, car autrement comment m’auriez-vous fait grâce ? Ne sait-on pas dans le monde toute l’étendue de vos lumières ? Combien d’habiles auteurs ne doivent-ils pas la beauté de leurs ouvrages à la sûreté de votre critique ! La finesse de votre goût n’a pas moins servi les lettres que votre protection a encouragé ceux qui les ont cultivées ; et ce que je dis là, Madame, ce n’est ni l’auguste naissance de Votre Altesse Sérénissime, ni le rang qu’Elle tient qui me le dicte, c’est le public qui me l’apprend, et le public ne surfait point. Pour moi, il ne me reste là-dessus qu’une réflexion à faire ; c’est qu’il est bien doux, quand on dédie un livre à une Princesse, et qu’on aime la vérité, de trouver en Elle autant de qualités réelles que la flatterie oserait en feindre.
Je suis, avec un très profond respect, Madame, de Votre Altesse Sérénissime, le très humble et très obéissant serviteur, Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux…