Il y aura toujours des Salieri !
Vendredi 29 octobre 2021 à 20h l’Opéra de Toulon présente son deuxième concert symphonique autour du thème Mozart et Salieri. A ne pas manquer.
Au programme le Concerto pour piano n°27 de Mozart interprété par le pianiste Paul Lewis, suivi d’une version de concert de Mozart et Salieri de Rimski-Korsakov.
Cet opéra de chambre sera chanté par le ténor Kévin Amiel et le baryton-basse Vincent Le Texier. L’Orchestre et le chœur seront dirigés par Pierre Bleuse.
Le syndrome de Salieri
Antonio Salieri est un médiocre compositeur contemporain de Mozart qui a été accusé d’avoir empoisonné Mozart par jalousie. Non pas que Salieri était jaloux du succès de Mozart (qui a Vienne en avait bien moins que lui), mais à cause du génie musical de Wolfgang Amadeus. Salieri écrivait une
musique facile qui plaisait immédiatement, mélange de procédés et de savoir-faire qui par sa facilité d’écoute rassurait le public. Mozart au contraire, par ses grandes œuvres, s’éloignait de toutes démagogies. Il mettait les hommes devant leur propre angoisse. Né en Italie, devenu compositeur de la cour d’Autriche, acclamé dans toute l’Europe, Salieri fut ami de Gluck et de Haydn et de nombreux musiciens de son temps. Il eut comme élèves Beethoven, Schubert, Liszt. La légende d’une jalousie criminelle, serait fondée sur les Cahiers de conversation avec Beethoven, dans lesquels Schindler évoquait une confession de Salieri, déjà sénile, s’accusant du meurtre de Mozart.
Bien sur Salieri n’a pas tué Mozart physiquement, mais l’esprit Salieri fait toujours des ravages. Il efface les génies par le succès tapageur des œuvres minables. Lorsque les parisiens ont hué Tannhäuser de Wagner c’est l’esprit de Salieri. Lorsque les amateurs d’opéras ont sifflé Wozzeck d’Alban Berg c’est encore le syndrome de Salieri. Et lorsque le public de la Scala de Milan a boudé la première italienne de Pelléas et Mélisande de Debussy c’est toujours la victoire de Salieri sur Mozart…
Pouchkine et Rimski-Korsakov
Avant d’être un opéra, Mozart et Salieri est l’une des quatre Petites Tragédies de Pouchkine : un bref dialogue en vers, écrit en 1830, qui montre combien sont anciennes et tenaces les fantasmagories autour de la rivalité des deux compositeurs.
Joseph Thiroin après avoir vu la production lyonnaise de 2017 écrivait dans Resmusica « L’action de la pièce est ramassée, et le propos, démonstratif. Les deux personnages qui se partagent la scène, et dont l’un finit par empoisonner l’autre de sang froid, symbolisent deux rapports à la création : chez Salieri, le savoir-faire besogneux fait office d’inspiration ; Mozart, pour lui, revêt tous les traits de l’artiste-prophète auquel on ne doute pas un instant que Pouchkine s’identifiait – un esprit large et plein d’humour, une facilité désinvolte, et une âme presque possédée par le génie. Le personnage de Salieri, centre véritable du drame, est déchiré entre l’impression de l’injustice qui lui est faite, une admiration authentique pour Mozart, et un dégoût fataliste pour toute forme d’art : « À quoi [Mozart] nous servirait-il ? Tel un chérubin, / Il nous a apporté quelques chants célestes / Propres à éveiller de chimériques espérances / En nous, fils de poussière. » Pour le Salieri de Pouchkine, mieux vaut que la musique ne se mêle pas de transcendance ou d’élévation ; mieux vaut faire d’elle l’apanage d’une petite caste laborieuse qui puisse, avec l’excellente excuse d’une action sociale, laisser les hommes à leur néant confortable. » Il y a toujours des Salieri pour anesthésier le peuple.
À Toulon le mini opéra d’une heure qui inspira le film Amadeus sera chanté en Russe sous titré par Vincent Le Texier et Kévin Amiel.
Paul Lewis et le 27eme concerto pour piano de Mozart
Pour accompagner l’œuvre russe, l’Opéra de Toulon a choisi à juste titre ce magnifique concerto de Mozart. D’une absolue perfection, cette œuvre décourage presque les commentaires tant elle est représentative de la dernière manière du compositeur, avec la sublime ingénuité de ses thèmes, son langage supérieurement décanté et sa luminosité étrange, quasi crépusculaire. Certes, avec son rondo final plein de fraîcheur, elle se conclut sur une note juvénile et apparemment optimiste, mais, de la part de Mozart, il s’agit peut-être, en ce mois de janvier 1791, d’une forme supérieure de décantation spirituelle. Jamais sa musique n’a été aussi empreinte de l’esprit d’enfance. En tout cas, on est loin du pianiste-compositeur à la recherche du succès des premières années viennoises, le rival de Salieri : s’il est à la fois complexe et ambitieux, mais avec une pudeur qui le fait ressembler à une confidence ce dernier concerto, presque au même titre que le concerto pour clarinette, s’entend comme l’adieu de Mozart à l’humanité.
Pour défendre ce chef d’œuvre se situant à des années-lumière de l’esprit de Salieri c’est le grand pianiste anglais Paul Lewis qui sera au clavier accompagné par l’excellent orchestre symphonique de l’Opéra sous la direction de Pierre Bleuse.
Ce concert s’annonce comme un grand moment de musique à partager.
Jean-François Principiano