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Un opéra japonais à Toulon la saison prochaine
Padre de Kanako Abe sur un livret de Jacques Keriguy
Le roman l’Agonie de Jacques Keriguy sera mis en musique par Kanako Abe et créé à l’Opéra de Toulon la saison prochaine par l’ensemble Polychronies de Florent Fabre dans une mise en scène de Jean Claude Berutti. Etapes d’une aventure culturelle.
Jacques Keriguy est un homme comblé. * Son talent d’écrivain est reconnu par les spécialistes et ses ouvrages font l’objet de recherches et d’approfondissements. Il a vécu au Japon occupant des responsabilité à la Maison franco-japonaise de Tokyo. Il en a rapporté une admiration pour la culture japonaise, mais surtout deux romans publiés au Seuil. La Jonque cathédrale en 2000 et l’Agonie en 2003.Tous deux parlent du Japon secret. Si la Jonque Cathédrale est déjà une œuvre très intéressante, l’Agonie, est un petit chef d’œuvre. Ce livre évoque la torture et l’apostasie d’un prêtre Jésuite Portugais Cristóvão Ferreira personnage historique qui fit scandale par son apostasie au XVII° siècle.
Style incisif.
Toute l’œuvre tient dans la première phrase : « La voici, la douleur qui conduit à la mort ». Nous sommes en 1633 au moment de l’arrestation du Padre Ferreira. Pour des raisons historiques complexes et qui sont restées en partie mystérieuses, le pouvoir shôgunal de Tokugawa repoussa la pénétration du catholicisme dans l’archipel et installa une inquisition. Les jésuites furent poursuivis et condamnés au supplice de la suspension par les pieds, se vidant goutte à goutte de leur sang dans une fosse. Au-delà de la riche documentation accumulée par Keriguy, l’Agonie vaut surtout par l’originalité de la dramaturgie narrative.
Tout le livre est une sorte de flash-back de la vie de ce Padre, son arrivée au Japon, ses doutes, ses espoirs, ses faiblesses. Le style est somptueux de limpidité narrative. De longues périodes au champ lexical poétique alternent avec des phrases courtes en forme d’aphorismes. C’est ce qui donne à l’ouvrage sa cadence, son rythme, une pulsion intérieure étonnante de lyrisme.
Le ton indirect
Le Padre Ferreira, on l’aura compris, revoit toute sa vie qui s’égrène en un tragique goutte à goutte durant cette longue agonie de cinq heures. Et le lecteur revit l’épopée des jésuites, leur courage, leur sacrifice et l’échec final que l’on pressent. Le thème a fait l’objet de tout un courant littéraire au Japon. Des films plus ou moins heureux ont repris, non sans exagération, le brutal revirement des Japonais expulsant la religion des pères jésuites. Mais le roman de Keriguy possède un souffle, une dimension épique. Il mêle la fiction et l’histoire, sans que l’écriture marque de frontière entre les narrations. Tout le récit est écrit à la deuxième personne comme une permanente invocation intime.
Ferreira l’agonisant tutoie le Padre qu’il fut et déroule sous nos yeux l’aventure intérieure de cet homme qui attend la mort et qui s’interroge sur le sens de sa vie en une ultime confrontation. « Tu t’es fermé à l’amour pour faire surgir la vérité. Alors va jusqu’au bout. Il n’est plus temps de reculer : plonge dans la fange de tes passions indigentes. Le temps est venu : crie l’aversion que tu as de toi même. Ton élan est brisé : tu n’iras pas plus loin. C’est dommage. Les barrières sont effondrées : jusqu’où serais-tu allé ? Il aurait été intéressant de le savoir. La démesure : voilà quel aurait pu être ton refuge. Tu ne la méritais pas. Saisir la démesure, c’est empoigner l’infini, c’est aussi harponner la mort. Le fabuleux destin ! »
Vers la fin du livre, au moment du grand basculement, le style de Keriguy se déploie en un épanchement mystique inspiré.
« Après cinq heures de supplice, le Padre Cristóvão Ferreira leva le bras droit. Il fit connaitre qu’il renonçait à sa religion et adoptait celle de ses tourmenteurs. Sous le nom de Sawano Chuan, il se convertit au bouddhisme, et fonda la première école de médecine occidentale au Japon. » On lui prête également la paternité d’un livre intitulé La Supercherie dévoilée, rédigé en 1636, dans lequel il réfute les préceptes de la religion catholique. Pourtant, juste avant de mourir, Ferreira revient à la foi catholique, il est torturé et meurt en martyr à Nagasaki en 1650.
Lors de sa parution le roman a été accueilli au Japon avec enthousiasme et émotion. Jacques Keriguy s’en est inspiré pour écrire le livret d’un opéra qu’il confie à une compositrice contemporaine japonaise de renom, Kanako Abe.
Du roman à l’opéra
Kanako Abe, élève de Toru Takemitsu, a conçu un Opéra de chambre pour voix, récitant, et petit ensemble mêlant instruments traditionnels japonais et instruments occidentaux.
La mise en scène sera assurée par le toulonnais Jean-Claude Berutti (déjà présent à Toulon en 1987 pour une Bohême de Puccini mémorable). Il a poursuivi depuis une carrière brillante de metteur en scène. La scénographie de Rudy Sabounghi et les costumes de Colette Huchard devraient assurer le succès de cette œuvre. Responsable du projet, chargée de la production : Ubavka Zaric. L’Ensemble Polychronies dirigé par Florent Fabre sera composé de Bernard Boellinger, Florent Fabre, Bernard Perreira et Mathieu Schaeffer. La guitare Shamisen sera tenue par Sylvain Diony. La Flûte shakuhachi par Katsura CreaSion. Distribution vocale : Ensemble Confluantsa avec Harmonie Deschamps, soprano, Li Yi, mezzo-soprano, Blaise Rantoanina, ténor et Igor Bouin, baryton-basse.
Le fils abandonné.
Vendredi 18 mars 2022 à 20h en prélude à cette création mondiale, l’Opéra de Toulon proposera un récit musical pour récitant et quatre percussions de Kanako Abe intitulé le Fils abandonné à l’auditorium Chalucet. Avec l’Ensemble Polychronies, Charles Morillon narrateur et la mise en scène de Jean Claude Berutti sous la direction musicale de Florent Fabre.
On entendra également au cours de cette soirée consacrée à la musique contemporaine japonaise des partitions de Toru Takemitsu, Aiko Myamoto, Tetsuro Naito et Yoshihisa Taïra, interprétées par l’ensemble Polychronies.
Jean -François Principiano
*Jacques Keriguy est né sur la côte nord de la Bretagne. Il découvre la Méditerranée lors de son affectation à l’Ecole d’Archéologie d’Athènes et vit en Grèce de 1967 à 1974. De retour en France, il occupe des fonctions à Paris, au ministère de l’Enseignement supérieur et au CNRS, puis dirige l’Ecole nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques à Villeurbanne de 1985 à 1995. Il accomplit de nombreuses missions en Afrique, en Amérique et en Asie à la demande de l’UNESCO et du ministère des Affaires étrangères. Une affectation à la Maison franco-japonaise de Tokyo (1995-97) lui permet de s’intéresser au sort des premiers jésuites portugais parvenus au Japon au XVIe siècle. Il préside l’association Yamato-kai (amitié franco-japonaise). Installé en Provence, il devient Conservateur de la Bibliothèque universitaire et Président de l’Académie du Var.
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