Toulon Le Fils abandonné de Kanako Abe et Jacques Keriguy
Un récit musical poignant dans l’univers du Japon ancien
Vendredi 18 mars 20h à l’Auditorium du Conservatoire TPM de Toulon concert-spectacle proposé par le Festival de Musique de Toulon et Région dans le cadre d’une résidence d’artistes au Lycée Bonaparte (dispositif INES Région-Sud Provence-Alpes-Côtes-d ’Azur)
Un grand roman historique
Le roman l’Agonie de Jacques Keriguy mis en musique par Kanako Abe devait être programmé à l’Opéra de Toulon la saison prochaine par l’ensemble Polychronies de Florent Fabre dans une mise en scène de Jean Claude Berutti. Malheureusement cet événement est momentanément repoussé à une date ultérieure. Mais revenons sur l’origine et les étapes de ce beau projet.
Jacques Keriguy a un talent d’écrivain reconnu par les spécialistes et ses ouvrages font l’objet de recherches et d’approfondissements. Il a vécu au Japon occupant des responsabilité à la Maison franco-japonaise de Tokyo. Il en a rapporté une admiration pour la culture japonaise, mais surtout deux romans publiés au Seuil. La Jonque cathédrale en 2000 et l’Agonie en 2003.Tous deux parlent du Japon secret. Si la Jonque Cathédrale est déjà une œuvre très intéressante, l’Agonie, est un petit chef d’œuvre. Ce livre évoque la torture et l’apostasie d’un prêtre Jésuite Portugais Cristóvão Ferreira personnage historique qui fit scandale par son apostasie au XVII° siècle.
Le Japon ancien
Toute l’œuvre tient dans la première phrase : « La voici, la douleur qui conduit à la mort ». Nous sommes en 1633 au moment de l’arrestation du Padre Ferreira. Pour des raisons historiques complexes et qui sont restées en partie mystérieuses, le pouvoir shôgunal de Tokugawa repoussa la pénétration du catholicisme dans l’archipel et installa une inquisition. Les jésuites furent poursuivis et condamnés au supplice de la suspension par les pieds, se vidant goutte à goutte de leur sang dans une fosse. Au-delà de la riche documentation accumulée par Keriguy, l’Agonie vaut surtout par l’originalité de la dramaturgie narrative.
Ainsi le livre est une sorte de flash-back de la vie de ce Padre, son arrivée au Japon, ses doutes, ses espoirs, ses faiblesses. Le style est d’une grande limpidité narrative. De longues périodes au champ lexical poétique alternent avec des phrases courtes en forme d’aphorismes. C’est ce qui donne à l’ouvrage sa cadence, son rythme, une pulsion intérieure étonnante de lyrisme.
Un souffle épique
Le Padre Ferreira, revoit toute sa vie qui s’égrène en un tragique goutte à goutte durant cette longue agonie de cinq heures. Et le lecteur revit l’épopée des jésuites, leur courage, leur sacrifice et l’échec final que l’on pressent. Le thème a fait l’objet de tout un courant littéraire au Japon. Des films plus ou moins heureux ont repris, non sans exagération, le brutal revirement des Japonais expulsant la religion des pères jésuites. Mais le roman de Keriguy possède un souffle, une dimension épique. Il mêle la fiction et l’histoire, sans que l’écriture marque de frontière entre les narrations. Tout le récit est écrit à la deuxième personne comme une permanente invocation intime.
Ferreira l’agonisant tutoie le Padre qu’il fut et déroule sous nos yeux l’aventure intérieure de cet homme qui attend la mort et qui s’interroge sur le sens de sa vie en une ultime confrontation. « Tu t’es fermé à l’amour pour faire surgir la vérité. Alors va jusqu’au bout. Il n’est plus temps de reculer : plonge dans la fange de tes passions indigentes. Le temps est venu : crie l’aversion que tu as de toi même. Ton élan est brisé : tu n’iras pas plus loin. C’est dommage. Les barrières sont effondrées : jusqu’où serais-tu allé ? Il aurait été intéressant de le savoir. La démesure : voilà quel aurait pu être ton refuge. Tu ne la méritais pas. Saisir la démesure, c’est empoigner l’infini, c’est aussi harponner la mort. Le fabuleux destin ! »
Vers la fin du livre, au moment du grand basculement, le style de Keriguy se déploie en un épanchement mystique inspiré.
« Après cinq heures de supplice, le Padre Cristóvão Ferreira leva le bras droit. Il fit connaitre qu’il renonçait à sa religion et adoptait celle de ses tourmenteurs. Sous le nom de Sawano Chuan, il se convertit au bouddhisme, et fonda la première école de médecine occidentale au Japon. » On lui prête également la paternité d’un livre intitulé La Supercherie dévoilée, rédigé en 1636, dans lequel il réfute les préceptes de la religion catholique. Pourtant, juste avant de mourir, Ferreira revient à la foi catholique, il est torturé et meurt en martyr à Nagasaki en 1650.
Lors de sa parution le roman a été accueilli au Japon avec enthousiasme et émotion. Jacques Keriguy s’en est inspiré pour écrire le livret d’un opéra qu’il confie à une compositrice contemporaine japonaise de renom, Kanako Abe.
Du roman à l’opéra
Kanako Abe, compositrice et cheffe d’orchestre, (elle va diriger cet été au Festival d’Aix en Provence) élève de Toru Takemitsu, a conçu un Opéra de chambre pour voix, récitant, et petit ensemble mêlant instruments traditionnels japonais et instruments occidentaux. La distribution est sujette à évolution et modification depuis l’annonce du report.
Le fils abandonné un extrait sous forme d’un récit musical
Vendredi 18 mars à 20h, en prélude à cette création mondiale, le Festival de Toulon et Région proposera un récit musical pour récitant et quatre percussions intitulé le Fils abandonné à l’auditorium du Conservatoire TPM de Toulon. Avec l’Ensemble Polychronies, Christophe Bernollin direction chant et Charles Morillon narrateur et la mise en scène de Jean Claude Berutti sous la direction musicale de Florent Fabre.
Le fils abandonné exprime la détresse d’un jeune japonais converti au christianisme par un prêtre jésuite dans le japon ancien et condamné par le pouvoir shôgunal.
On entendra également en première partie au cours de cette soirée consacrée à la musique contemporaine, des partitions de Pierre Jodlowski 24 loops pour sons fixés et 4 percussions et d’Aïko Moyomato Cinabres pour 4 percussions, une commande de Polychronies (Bernard Bollinger, Bernard Pereira, Matthieu Schaeffer)
Une initiative heureuse du Festival de Toulon et sa Région. Tarifs 10€ et 5€. Informations et réservations www.festivalmusiquetoulon.com et billeterie@festivalmusiquetoulon.com 06 34 29 59 33.
Jean -François Principiano
*Jacques Keriguy est né sur la côte nord de la Bretagne. Il découvre la Méditerranée lors de son affectation à l’Ecole d’Archéologie d’Athènes et vit en Grèce de 1967 à 1974. De retour en France, il occupe des fonctions à Paris, au ministère de l’Enseignement supérieur et au CNRS, puis dirige l’Ecole nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques à Villeurbanne de 1985 à 1995. Il accomplit de nombreuses missions en Afrique, en Amérique et en Asie à la demande de l’UNESCO et du ministère des Affaires étrangères. Une affectation à la Maison franco-japonaise de Tokyo (1995-97) lui permet de s’intéresser au sort des premiers jésuites portugais parvenus au Japon au XVIe siècle. Il préside l’association Yamato-kai (amitié franco-japonaise). Installé en Provence, il devient Conservateur de la Bibliothèque universitaire et a occupé la fonction de Président de l’Académie du Var.