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ANNEXES e
TEXTES DESTINES A
L'ENSEIGNEMENT DE GROUPE

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5. Que signifie, d'après Kant, la prudence? Retrouvez dans ce texte, la distinction entre impératif hypothétique et impératif catégorique. Quel rapport y a-t-il, pour Kant, entre la moralité et la connaissance?


Ainsi la valeur morale de l'action ne réside pas dans l'effet qu'on en attend, ni non plus dans quelque principe de l'action qui a besoin d'emprunter son mobile à cet effet attendu. Car tous ces effets (contentement de son état, et même contribution au bonheur d'autrui) pourraient être aussi bien produits par d'autres causes; il n'était donc pas besoin pour cela de la volonté d'un être raisonnable. Et cependant c'est dans cette volonté seule que le souverain bien, le bien inconditionné, peut se rencontrer. C'est pourquoi se représenter la loi en elle-même, ce qui à coup sur n'a lieu que dans un être raisonnable, et faire de cette représentation, non de l'effet attendu, le principe déterminant de la volonté, cela seul peut constituer ce bien si excellent que nous qualifions de moral, présent déjà dans la personne même qui agit selon cette idée, mais qu'il n'y a pas lieu d'attendre seulement de l'effet de son action(*).

Mais quelle peut donc bien être cette loi dont la représentation, sans même avoir égard à l'effet qu'on en attend, doit déterminer la volonté pour que celle-ci puisse être appelée bonne absolument et sans restriction? Puisque j'ai dépossédé la volonté de toutes les impulsions qui pourraient être suscitées en elle par l'idée des résultats dus à l'observation de quelque loi, il ne reste plus que la conformité universelle des actions à la loi en général, qui doit seule lui servir de principe; en d'autres termes, je dois toujours me conduire de telle sorte que je puisse aussi vouloir que ma maxime devienne une loi universelle 56. Ici donc c'est la simple conformité à la loi en général57 (sans prendre pour base quelque loi déterminée pour certaines actions) qui sert de principe à la volonté, et qui doit même lui servir de principe, si le devoir n'est pas une illusion vaine et un concept chimérique. Avec ce qui vient d'être dit, la raison commune des hommes, dans l'exercice de son jugement pratique, est en parfait accord, et le principe qui a été exposé, elle l'a toujours devant les yeux.

Soit, par exemple, la question suivante : ne puis-je pas, si je suis dans l'embarras, faire une promesse avec l'intention de ne pas la tenir? Je distingue ici aisément entre les sens que peut avoir la question : demande-t-on s'il est prudent ou s'il est conforme au devoir de faire une fausse promesse? Cela peut être sans doute prudent plus d'une fois.

A la vérité, je vois bien que ce n'est pas assez de me tirer, grâce à ce subterfuge, d'un embarras actuel, qu'il me faut encore bien considérer si de ce mensonge ne peut pas résulter pour moi dans l'avenir un désagrément bien plus grand que tous ceux dont je me délivre pour l'instant; et comme, en dépit de toute ma prétendue finesse, les conséquences ne sont pas si aisées à prévoir que le fait d'avoir une fois perdu la confiance d'autrui ne puisse m'être bien plus préjudiciable que tout le mal que je songe en ce moment à éviter, n'est ce pas agir avec plus de prudence que de se conduire ici d'après une maxime universelle et de se faire une habitude de ne rien promettre qu'avec l'intention de le tenir?

Mais il me paraît ici bientôt évident qu'une telle maxime n'en est pas moins toujours uniquement fondée sur les conséquences à craindre. Or c'est pourtant tout autre chose que d'être sincère par devoir, et de l'être par crainte des conséquences désavantageuses; tandis que dans le premier cas le concept de l'action en soi-même contient déjà une loi pour moi, dans le second cas il faut avant tout que je cherche à découvrir autre part quels effets peuvent bien être liés pour moi à l'action. Car, si je m'écarte du principe du devoir, ce que je fais est certainement tout à fait mal; mais si je suis infidèle à ma maxime de prudence, il peut, dans certains cas, en résulter pour moi un grand avantage, bien qu'il soit en vérité plus sûr de m'y tenir.

Après tout, en ce qui concerne la réponse à cette question, si une promesse trompeuse est conforme au devoir, le moyen de m'instruire le plus rapide, tout en étant infaillible, c'est de me demander à moi-même : accepterais-je bien avec satisfaction que ma maxime (de me tirer d'embarras par une fausse promesse) dût valoir comme une loi universelle (aussi bien pour moi que pour les autres)? Et pourrais-je bien me dire : tout homme peut faire une fausse promesse quand il se trouve dans l'embarras et qu'il n'a pas d'autre moyen d'en sortir?

Je m'aperçois bientôt ainsi que si je peux bien vouloir le mensonge, je ne peux en aucune manière vouloir une loi universelle qui commanderait de mentir; en effet, selon une telle loi, il n'y aurait plus à proprement parler de promesse, car il serait vain de déclarer ma volonté concernant mes actions futures à d'autres hommes qui ne croiraient point à cette déclaration ou qui, s'ils y ajoutaient foi étourdiment, me payeraient exactement de la même monnaie : de telle sorte que ma maxime, du moment qu'elle serait érigée en loi universelle, se détruirait elle-même nécessairement58.

Donc, pour ce que j'ai à faire afin que ma volonté soit moralement bonne, je n'ai pas précisément besoin d'une subtilité poussée très loin59. Sans expérience quant au cours du monde, incapable de parer à tous les événements qui s'y produisent, il suffit que je demande : peux-tu vouloir aussi que ta maxime devienne une loi universelle? Si tu ne le peux pas, la maxime est à rejeter, et cela en vérité non pas à cause d'un dommage qui peut en résulter pour toi ou même pour d'autres, mais parce qu'elle ne peut pas trouver place comme principe dans une législation universelle possible; pour une telle législation en retour la raison m'arrache un respect immédiat;...

(*) [NOTE] On pourrait m'objecter que sous le couvert du terme de respect je ne fais que me réfugier dans un sentiment obscur, au lieu de porter la lumière dans la question par un concept de la raison. Mais, quoique le respect soit un sentiment ce n'est point cependant un sentiment reçu par influence; c'est, au contraire, un sentiment spontanément produit par un concept de la raison, et par là même spécifiquement distinct de tous les sentiments du premier genre, qui se rapportent à l'inclination, ou à la crainte. Ce que je reconnais immédiatement comme loi pour moi, je le reconnais avec un sentiment de respect qui exprime simplement la conscience que j'ai de la subordination de ma volonté à une loi sans entremise d'autres influences sur ma sensibilité. La détermination immédiate de la volonté par la loi et la conscience que j'en ai, c'est ce qui s'appelle le respect, de telle sorte que le respect doit être considéré, non pas comme la cause de la loi, mais comme l'effet de la loi sur le sujet61. A proprement parler, le respect est la représentation d'une valeur qui porte préjudice à mon amour-propre. Par conséquent, c'est quelque chose qui n'est pas considéré ni comme objet d'inclination, ni comme objet de crainte, bien qu'il ait quelque analogie avec les deux à la fois. L'objet du respect est donc simplement la loi, loi telle que nous nous l'imposons à nous-mêmes, et cependant comme nécessaire en soi. En tant qu'elle est la loi, nous lui sommes soumis, sans consulter l'amour-propre; en tant que c'est par nous qu'elle nous est imposée, elle est une conséquence de notre volonté62; au premier point de vue elle a de l'analogie avec la crainte; au second, avec l'inclination63. Tout respect pour une personne n'est proprement que respect pour la loi (loi d'honnêteté, etc.) dont cette personne qui nous donne l'exemple64. Puisque nous considérons aussi comme un devoir d'étendre nos talents, nous voyons de même une personne qui a des talents comme l'exemple d'une loi (qui nous commande de nous exercer à lui ressembler en cela), et voilà ce qui constitue notre respect. Tout ce qu'on désigne sous le nom d'intérêt moral65 consiste uniquement dans le respect pour la loi.

KANT, E., Fondements de la métaphysique des moeurs, trad. V. Delbos, Paris, Delagrave, 1978, 101 à 105 (l'ouvrage est de 1785)

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UCL | Droit | Mise à jour : 03.03.99 - Responsable : Thomas De Praetere

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