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II. L'INTERSUBJECTIVITÉ PRIMORDIALE Dans les deux perspectives précédentes, la découverte d'autrui était soit un effet de la conscience qui réfléchit soit un moment contemporain de l'émergence d'une réflexion sur soi. Par rapport à Descartes, Sartre évite l'impasse de l'analogie, mais on peut se demander si le fait de lier notre conscience d'autrui à la conscience réflexive de l'air que nous avons ne nous fait pas manquer un niveau plus fondamental de l'intersubjectivité. Le regard d'un chien ne me gêne guère. S'il en va autrement avec autrui, c'est sans doute parce que j'ai déjà une certaine conscience de la différence.
"Supposons, écrit Husserl, un autre homme entré dans le champ de notre perception; en réduction primordiale, cela veut dire que, dans le champ de perception de ma nature primordiale, apparaît un corps qui, en qualité de primordial, ne peut être qu'un élément déterminant de moi-même (transcendance immanente)" (Op. cit., trad. G. PEIFFER et E. LEVINAS, Paris, Vrin, 1969, p. 93). Sous l'expression curieuse "transcendance immanente", il faut comprendre que, dans la conscience spontanée anonyme, qui ne se distingue pas de son objet (bien qu'elle n'en soit pas un), le sujet ne se distingue pas d'autrui (bien qu'il ne soit pas lui). MerleMerleau-Ponty, dans la Phénoménologie de la perception
décrit l'expérience intersubjective préréfléchie en se référant à l'expérience
enfantine telle que l'a décrite le psychologue suisse Jean Piaget. Toutefois, contrairement à ce que semble dire Piaget, Merleau-Ponty estime que la conscience enfantine n'est qu'un cas particulier de la conscience préréflexive et que la conscience indistincte de l'existence d'autrui demeure chez l'adulte, où elle constitue un substrat indispensable à toute conscience réfléchie d'autrui, c'est-à-dire à toute attitude où l'on tient compte de l'altérité des points de vue. Parmi les attitudes de la conscience réflexive, il y a la recherche d'une vérité objective (dépassement de la subjectivité). A ce propos, Merleau-Ponty fait remarquer ceci : "La conscience que j'ai de construire une vérité objective ne me donnerait jamais qu'une vérité objective pour moi, mon plus grand effort d'impartialité ne me ferait pas surmonter la subjectivité, (...) si je n'avais, au-dessous de mes jugements, la certitude primordiale de toucher l'être même, si, avant toute prise de position volontaire je ne me trouvais déjà situé dans un monde intersubjectif, si la conscience ne s'appuyait pas sur cette doxa originaire".(p. 408). Ceci rejoint la thèse déjà connue que la conscience réflexive repose sur un vécu primordial. L'objectivité d'un jugement est sa valeur non seulement pour moi mais également pour tout autre, compte tenu de ce que je ne suis que moi et de ce que tout ce qui m'apparaît n'apparaît pas d'office à autrui. Kant affirmait déjà que le jugement objectif est un jugement ayant valeur pour tous les sujets connaissants ("allgemeingültig") et que l'accession à une telle manière de juger exigeait d'ailleurs une structuration a priori de l'impression sensible (formes a priori de la sensibilité, catégories de l'entendement). Certes, comme il est dit dans le texte de Merleau-Ponty, l'enfant prend aussi ses perceptions et ses opinions pour universellement valables, seulement il le fait compte non tenu de ce qu'il est, comme chacun, simplement lui-même. Il y a là un dogmatisme spontané qui rejoint celui dont Husserl qualifiait "l'attitude naturelle" (certitude primordiale et non critique de percevoir les choses telles qu'elles sont, oubli de ce que nous avons chacun un point de vue particulier qui donne aux choses une signification particulière).
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