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III. Le
désir Autrui n'apparaît pas seulement dans la représentation mais aussi dans le désir. La sexualité est le désir d'autrui inscrit dans le corps. 1. Désir d'autrui et conscience explicite de soi Hegel explique, dans la partie de la Phénoménologie de l'Esprit consacrée à l'esprit "subjectif" que la conscience de soi n'est pas purement représentative. L'individu ne peut être "rappelé à soi" qu'à la condition de faire l'expérience du désir. Celui-ci comporte une double négativité : épreuve du manque et mouvement vers la suppression de l'extériorité de l'objet manquant. La conscience de soi ne s'atteint donc pas dans la monotone tautologie "moi c'est moi" mais par la médiation d'un travail de négativité exercé sur un terme autre. Du niveau de ce terme autre dépend le niveau de développement de la conscience de soi. Si la conscience jette seulement son dévolu sur un objet, inanimé ou vivant, elle ne dépasse pas cette espèce de très vague "souci de soi" que l'on peut supposer chez tous les vivants qui tendent à se maintenir en vie. Le désir d'objet est une condition nécessaire mais non suffisante de la conscience explicite de soi. Aussi, le désir proprement humain n'est-il pas seulement un désir biologique de consommation d'objet (manger, s'accoupler, etc...) mais un désir de désir, c'est-à-dire un désir d'être reconnu (estimé, entendu, honoré, craint, etc.) par un autre sujet désirant. Quant à notre désir d'objet, il n'est humain que dans la mesure où il est "médiatisé" par le désir d'autrui relativement à cet objet. L'individu qui cherche à s'imposer à la reconnaissance d'autrui cherche à être reconnu en tant qu'il dépasse sa propre existence biologique. Pour ce faire, il risque sa propre vie. Le développement de la conscience de soi comporte selon Hegel un moment nécessaire de lutte des consciences comprenant une mise en jeu de la vie. Appliqué à la sexualité humaine, cet enseignement hégelien nous permet de comprendre que celle-ci n'est pas réductible au génital (les processus biologiques liés à l'usage des organes génitaux). Le désir sexuel n'a de sens humain qu'à partir du désir de reconnaissance qui l'informe. 2. Désir d'autrui et préhistoire de la conscience Les études de S. Freud (1856-1939) sur le psychisme inconscient ont conduit à la découverte des mouvements souterrains du désir d'autrui. Ce désir, comme la vie sexuelle, préexiste à la prise de conscience du moi et se trouve à son fondement. L'inconscient est conçu par Freud à la fois comme le refoulé (1), un discours (2), une préhistoire (3) et une structure de personnalité (4). 1. Au début de sa carrière, Freud et son collègue Breuer parviennent à guérir certaines névroses au moyen de l'hypnose (cfr. le cas de Anna O. dans les Études sur l'hystérie de 1895). L'hypothèse explicative est la suivante: l'hypnose permet l'expression verbale de sentiments sexuels refoulés qui forment l'inconscient. Assez rapidement, le procédé de l'hypnose est remplacé par la consigne de l'association libre (dire tout ce qui vient à l'esprit, même si cela paraît absurde ou déplacé). Une plus grande importance est ainsi accordée à la relation parlée avec l'analyste, relation dans laquelle peuvent prendre place les phénomènes de résistance (difficulté de se soumettre à la consigne d'association libre) et de transfert (malgré la neutralité de l'analyste, le patient se rapporte à lui comme il se rapportait jadis à des personnes marquantes de son entourage). La psychanalyse naît alors en tant que méthode d'expression de l'inconscient par la parole, et elle seulement, dans une situation relationnelle privilégiée où sont suspendues les conventions et les urgences de la vie courante. 2. Presqu'en même temps, Freud découvre la valeur significative inconsciente des actes manqués, des lapsus, des mots d'esprit et, surtout, des rêves, qui constituent "la voie royale d'exploration de l'inconscient" (L'interprétation des rêves, 1900; Psychopathologie de la vie quotidienne, 1901; Le mot d'esprit, 1905). Ces découvertes renforcent l'idée que nous ne sommes qu'assez peu maîtres de notre discours : notre parole consciente et rationnelle est portée par un "discours" qui n'est pas à notre disposition et qui s'y insinue. Dans le rêve, notamment, l'inconscient se signale par un style de discours dont les figures essentielles sont la condensation (le personnage d'un rêve ne désigne pas nécessairement la personne réelle qu'il évoque dans la pensée éveillée mais il peut être "surdéterminé" et ainsi désigner d'autres personnages ou d'autres représentations) et le déplacement (les éléments les plus importants d'un rêve peuvent être présents dans un élément qui nous semble accessoire, ce qui déjoue nos censures). La condensation est le processus inconscient de la métaphore, le déplacement celui de la métonymie. 3. Le désir qui s'avance masqué dans le "langage" inconscient est un désir de nature sexuelle qui se développe dès la prime enfance. Cette préhistoire est particulièrement prégnante du fait de l'absence de langage articulé chez l'enfant. Le symbole majeur en est la tragédie de Sophocle où Oedipe avait, sans le savoir, tué son père et commis l'inceste avec sa mère. Le choix primitif de l'objet du désir de l'enfant est moins l'objet de ses besoins que, vu son indigence à les satisfaire, les personnes par lesquelles ils peuvent être satisfaits. Le désir se porte généralement sur le parent de sexe opposé, la mère pour l'enfant mâle. Mais l'heureuse possession indivise de la mère est troublée par le père, perçu comme rival. Ce rival est en outre perçu comme menaçant (castration possible) et l'enfant ne peut que souhaiter l'éliminer. Ceci étant infaisable, reste l'issue de l'identification au père, perçu dès lors comme modèle. L'image ambivalente du père est l'origine du sens de la loi. Cette préhistoire du désir structure l'inconscient dès le plus jeune âge. Or, l'inconscient est dynamique. Ce passé reste présent à l'âge adulte et la manière dont le complexe d'Oedipe a été résolu ou non conditionne à notre insu nos relations à autrui (cfr. par exemple le transfert psychanalytique). La résolution de l'oedipe passe par l'acceptation de la loi interdisant l'inceste et donc par le deuil de l'objet immédiat premier du désir. L'homme n'a de chance de se développer humainement que s'il met un intervalle entre lui même et l'objet de son fantasme, intervalle par lequel il s'ouvre au monde, aux choses et aux gens. Comme le souligne plus tard Jacques Lacan, c'est par ce travail de deuil que l'individu peut vivre son désir non sur le mode imaginaire (investissement dans la fusion béate) mais sur le mode symbolique (investissement du désir dans ce qui n'est pas l'objet primaire mais le représente par substitution). Notons que l'ethnologue Claude Levi-Strauss fera des observations analogues en ce qui concerne la société : le tabou de l'inceste oblige les individus à chercher leur conjoint ailleurs que chez les consanguins proches et cet interdit de court-circuit est nécessaire à l'état de société comme à la culture (cf. Les stuctures élémentaires de la parenté, 1949). ________________________________________________ |
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