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ANNEXES d
TEXTES DESTINES A
L'ENSEIGNEMENT DE GROUPE

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4. Quels sont les deux sens de l'altérité que Levinas distingue dans le texte suivant? Pourquoi le langage (ou discours) est-il considéré comme authentique rapport du Même et de l'Autre? Peut-on conclure de ce texte que la conscience de l'existence d'autrui est essentiellement éthique?


L'identification du Même dans le Moi ne se produit pas comme une monotone tautologie : "Moi c'est Moi". L'originalité de l'identification, irréductible au formalisme de A est A, échapperait ainsi à l'attention. Il faut la fixer non pas en réfléchissant sur l'abstraite représentation de soi par soi. Il faut partir de la relation concrète entre un moi et un monde. Celui-ci, étranger et hostile, devrait, en bonne logique, altérer le moi. Or, la vraie et l'originelle relation entre eux, et où le moi se révèle précisément comme le Même par excellence, se produit comme séjour dans le monde. La manière du moi contre "l'autre" du monde, consiste à séjourner à s'identifier en y existant chez soi. Le Moi, dans un monde, de prime abord, autre, est cependant autochtone. Il est le revirement même de cette altération. Il trouve dans le monde un lieu et une maison. Habiter est la façon même de se tenir; non pas comme le fameux serpent qui se saisit en se mordant la queue, mais comme le corps qui, sur la terre, à lui extérieure, se tient et peut.

Le "chez soi" n'est pas un contenant, mais un lien où je peux, , dépendant d'une réalité autre, je suis, malgré cette dépendance, ou grâce à elle, libre. Il suffit de marcher, de faire pour se saisir de toute chose, pour prendre. Tout, dans un certain sens est dans le lieu, tout est à ma disposition en fin de compte, même les astres, pour peu que je fasse des comptes, que je calcule les intermédiaires ou les moyens. Le lieu, milieu, offre des moyens. Tout est ici, tout m'appartient; tout à l'avance est pris avec la prise originelle du lieu, tout est com-pris. La possibilité de posséder, c'est-à-dire de suspendre l'altérité même de ce qui n'est autre que de prime abord et autre par rapport à moi - est la manière du Même. Dans le monde je suis chez moi, parce qu'il s'offre ou se refuse à la possession. (Ce qui est absolument autre ne se refuse pas seulement à la possession, mais la conteste et, par là précisément, peut la consacrer.)

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L'absolument Autre, c'est Autrui. Il ne fait pas nombre avec moi. La collectivité où je dis "tu" ou "nous" n'est pas un pluriel de "je". Moi, toi, ce ne sont pas là individus d'un concept commun. Ni la possession, ni l'unité du nombre, ni l'unité du concept, ne me rattachent à autrui. Absence de patrie commune qui fait de l'Autre - l'Étranger; l'Étranger qui trouble le chez soi. Mais Étranger veut dire aussi le libre. Sur lui je ne peux pouvoir. Il échappe à ma prise par un côté essentiel, même si je dispose de lui. Il n'est pas tout entier dans mon lieu. Mais moi qui n'ai pas avec l'Étranger de concept commun, je suis, comme lui, sans genre. Nous sommes le Même et l'Autre. la conjonction et n'indique ici ni addition, ni pouvoir d'un terme sur l'autre. Nous tâcherons de montrer que le rapport du Même et de l'Autre - auquel nous semblons imposer des conditions si extraordinaires - est le langage. Le langage accomplit en effet un rapport de telle sorte que les termes ne sont pas limitrophes dans ce rapport, que l'Autre, malgré le rapport avec le Même, demeure transcendant au Même.

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Le discours, du fait même qu'il maintient la distance entre moi et Autrui, la séparation radicale qui empêche la reconstitution de la totalité, et qui est prétendue dans la transcendance, ne peut pas renoncer à l'égoïsme de son existence; mais le fait même de se trouver dans un discours, consiste à reconnaître à autrui un droit sur cet égoïsme et ainsi, à se justifier. l'apologie où le moi à la fois s'affirme et s'incline devant le transcendant, est dans l'essence du discours. La bonté à laquelle le discours - comme nous le verrons plus lois - aboutit et où il requiert une signification - ne perdra pas ce moment apologétique.

La rupture de la totalité n'est pas une opération de pensée, obtenue par simple distinction entre des termes qui s'appellent ou, du moins, qui s'alignent. Le vide qui la rompt, ne peut se maintenir contre une pensée, fatalement totalisante et synoptique, que si la pensée se trouve en face d'un Autre, réfractaire à la catégorie. Au lieu de constituer avec lui, comme avec un objet, un total, la pensée consiste à parler. Nous proposons d'appeler religion le lien qui s'établit entre le Même et l'Autre, sans constituer une totalité.

LEVINAS, E., Totalité et infini, La Haye, Nijhoff, 1961, 284p., p. 7-10.

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UCL | Droit | Mise à jour : 03.03.99 - Responsable : Thomas De Praetere

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