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Sans doute le concept de race a-t-il été ruiné par les travaux convergents des sciences sociales et des sciences naturelles. Se hasarder, de nos jours, à fonder en nature les différences entre les collectivités humaines, c'est s'exclure aussitôt du savoir. Les découvertes irréfutables des biologistes et des ethnologues nous interdisent de penser que le genre humain est divisé en groupes ethniques clairement délimités, pourvus chacun de sa mentalité propre transmissible par l'hérédité. Entre l'inné et l'acquis nous avons appris à faire la part des choses et nous avons cessé d'inscrire dans le patrimoine génétique ce qui relève en fait de l'histoire ou de la tradition. Signe décisif d'une avancée tout à la fois intellectuelle et morale nous discernons le caractère relatif et transitoire des traits que l'on comptait naguère parmi les données éternelles de l'humanité. En somme, on ne nous la fait plus : l'argument biologique est désormais sans pertinence; des rituels religieux aux techniques industrielles, de la nourriture à la façon de s'habiller, des belles-lettres au sport par équipes, nous savons que tout est culturel. Mais les inventeurs du génie national le savaient aussi. Ce sont eux qui, les premiers, ont opposé la variété irréductible des cultures à l'idée d'une nature humaine et qui ont transformé le monde immuable des philosophes en un paysage chatoyant fait de la juxtaposition des entités collectives. La théorie raciale qui est venue ensuite et par surcroît n'a fait que naturaliser ce refus de la nature humaine, et plus généralement de tout ce qui pourrait transcender la diversité des usages. Les particularités de chaque peuple ont été gravées dans les gènes, les "esprits" nationaux sont devenus des quasi-espèces dotées d'un caractère héréditaire, permanent et indélébile. Cette théorie s'est effondrée. Mais où est le progrès? Comme les chantres anciens de la race, les fanatiques actuels de l'identité culturelle consignent les individus dans leur appartenance. Comme eux, ils portent les différences à l'absolu, et détruisent, au nom de la multiplicité des causalités particulières, toute communauté de nature ou de culture entre les hommes. A Renan qui affirmait : "L'homme n'appartient ni à sa langue, ni à sa race; il n'appartient qu'à lui-même car c'est un être libre, c'est-à-dire un être moral", Barrès faisait cette réponse : "Ce qui est normal, c'est de ne pas se vouloir libre de sa race." Croit-on qu'il suffit, pour réfuter Barrès, de retraduire son délire biologique en termes de différences culturelles , et de proclamer : ce qui est moral, c'est de ne pas se vouloir libre de sa culture, et de s'opposer coûte que coûte à l'infiltration de l'étranger? A procéder ainsi, on perpétue, au contraire, le culte de l'âme collective apparu avec l'idée de Volksgeist, et dont le discours racial a été une version paroxystique et provisoire. Avec le remplacement de l'argument biologique par l'argument culturaliste, le racisme n'a pas été anéanti : il est simplement revenu à la case départ. LE DOUBLE LANGAGE DE L'UNESCO En 1971, vingt ans après Race et histoire, l'Unesco invite Claude Lévi-Strauss à ouvrir par une grande conférence l'année internationale de lutte contre le racisme. Tout le monde s'attendait à voir l'illustre anthropologue démontrer, une fois de plus, la nullité scientifique du concept de race. Déjouant les pronostics, Lévi-Strauss choisit de prendre le mot race au sérieux et de revenir sur la question ancienne des rapports entre race et culture. A l'aide des travaux les plus récents de la génétique des populations, il donne à ce problème une solution rigoureusement inverse à celle qu'avaient apportée les savants européens du XIXè siècle et de la première partie du XXè : "Ce sont les formes de culture qu'adoptent ici ou là les hommes, leurs façons de vivre telles qu'elles ont prévalu dans le passé ou prévalent encore dans le présent, qui déterminent dans une très large mesure, le rythme de leur évolution biologique et son orientation. Loin qu'il faille se demander si la culture est ou non fonction de la race, nous découvrons que la race ou ce que l'on entend généralement par ce terme est une fonction parmi d'autres de la culture". Malgré ce renversement, l'assertion fait scandale. Lévi-Strauss choque son auditoire. Lui qui, avec Race et histoire, avait en quelque sorte rédigé le deuxième acte constitutif de l'Unesco, est maintenant accusé d'hérésie. Son crime : avoir rendu au concept de race une légitimité partielle. C'était "réintroduire le loup dans la bergerie". On peut sourire devant le zèle d'une institution qui pousse le rejet de la pensée raciste jusqu'à récuser a priori toute réflexion en termes de race, et qui, après avoir appelé la science à la rescousse, excommunie la part de la production scientifique rebelle à son catéchisme. Mais, en l'occurrence, l'ironie ne suffit pas. Au moment, en effet, où le mot race devient tabou à l'Unesco, le mode de pensée typologique et le fétichisme de la différence se reconstituent à l'abri du concept irréprochable de culture.Il est dit, dans les résolutions actuelles de l'Organisation que les être humains tirent toute leur substance de la communauté à laquelle ils appartiennent; que l'identité personnelle des individus se confond avec leur identité collective; que tout en eux croyances, valeurs, intelligence ou sentiments procède de ce complexe de climat, de genre de vie, de langue qu'on appelait jadis Volksgeist et que l'on nomme aujourd'hui culture; que l'important c'est l'intégrité du groupe et non l'autonomie des personnes, que le but de l'éducation n'est pas de donner à chacun les moyens de faire le tri dans l'énorme masse de croyances, d'opinions, de routines et d'idées reçues qui composent son héritage, mais bien au contraire de l'immerger dans cet océan, de l'y plonger la tête la première : "Loin de demeurer deux domaines parallèles, culture et éducation s'interpénètrent et doivent se développer en symbiose, la culture irriguant et alimentant l'éducation qui s'avère le moyen par excellence de transmettre la culture, et, partant de promouvoir et renforcer l'identité culturelle".
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